Chroniques

par françois-xavier ajavon

Benjamin Britten
Occasional overture – Variations on a theme of Franck Bridge – Prelude and Fugue – The Young person's guide

1 CD Naxos (2005)
8.557200
Benjamin Britten | The Young person's guide – etc.

Cette nouvelle parution de la réédition par Naxos de l'intégrale Britten de Bedford, d'abord éditée chez Collins Classics, propose des world première recordings d'œuvres rares exhumées après la mort du compositeur britannique en 1976, ce qui évidemment n'a pas de prix pour les amateurs. Les œuvres orchestrales réunies ici par Steuart Bedford couvrent une période qui va de 1937 à 1946 : neuf ans, pas grand chose dans la vie d'un homme, mais des années qui pour Britten furent décisives et marquèrent une véritable transformation de l'homme et de l'œuvre. À la fin des années trente, il est encore un dandy qui voit la vie avec un optimisme certain et rencontre déjà du succès avec ses œuvres, dans une certaine limite toutefois. Durant cette ère insouciante il s'installe aux États-Unis, fréquentant le cercle d'amis du poète W.H. Auden, pour fuir la guerre en Europe ; son approche esthétique y gagne progressivement en gravité, en puissance et en originalité. Pendant la guerre, il écrit l'opéra Peter Grimes qui fera de lui le plus grand compositeur anglais de sa génération.

D'une certaine façon, les quatre œuvres fort différentes sélectionnées pour ce disque permettent de suivre ce cheminement, du dandy un peu lunaire au digne descendant de Purcell, tout en soulignant la continuité de ses préoccupations purement esthétiques. Les Variations on a theme of Frank Bridge Op.10 de 1937 sont un hommage de Britten à son mentor musical de jeunesse, le compositeur Bridge, qui lui donna des cours particuliers pendant quelques temps et lui fit découvrir la richesse musicale de l'époque. Le projet de Britten dans cette œuvre est de dessiner dix facettes différentes du caractère de Frank Bridge, en prenant pour base un extrait sombre et mystérieux de l'une de ses œuvres, Idyll. La March montre un Bridge énergique, la Bourrée Classique son rapport à la tradition, etc. C'est un parcours intéressant auquel le musicien nous invite, à la recherche d'un homme plus que d'un artiste. On soulignera particulièrement la sublime Romance en forme de somptueuse valse romantique, ainsi que la déchirante Marche funèbre, deux pièces très illustratives, aux contours formels peut-être un peu simplistes, mais à l'efficacité incontestable.

Le Prelude and fugue for 18-part String orchestra Op.29 de 1943 est une œuvre de commande d'une dizaine de minutes, écrite par Britten à destination du Boyd Neel Orchestra, afin d'en fêter le trentième anniversaire. Il s'y astreint à un complexe exercice de style, consistant à édifier une fugue avec des parties écrites séparément pour chacun des musiciens ; il s'en dégage un sentiment de grande austérité, mais sans la moindre trace de propensions scolaires – qui est l'écueil de tous les jeux formels, fussent-ils drôles et brillants. Les Variations and Fugue on a Theme of Henry Purcell, the Young person's guide Op.34 de 1946 relèvent elles aussi de l'exercice de style brillant. C'est certainement l'œuvre la plus célèbre de Britten, celle qui passe le plus souvent sur les antennes ; ayant fournis maints génériques à la télévisions et à la radio, elle a fait la renommée internationale du compositeur, mais l'on oublie souvent qu'il s'agissait à l'origine d'une musique de film. En effet c'est une commande de la Crown Film Unit, société spécialisée dans les films éducatifs, qui préparait la production d’Instruments of the orchestra sur un texte d'Eric Crozier, qui a également signé bon nombre des livrets de Britten, dont Albert Herring. Afin d'expliquer aux petits Britanniques l'emplacement des instruments dans l'orchestre classique, ainsi que les spécificités de chaque familles instrumentales, Britten est parti d'un thème d'Henry Purcell (extrait lui-même d'une musique de scène) et l'a développé en treize variations dévolues chacune à certains instruments, ainsi que d'une Fugue qui reprend le thème initial et permet de comprendre le dialogue qui peut s'installer entre les différentes parties de l'orchestre. Si la contrainte liée au projet du film était forte, le compositeur parvient à faire une partition exceptionnelle d'intelligence, de finesse et de pédagogie. Cette œuvre a encore de beaux jours devant elles dans les classes de musique au collège, pour inculquer l'alpha et l'oméga symphonique à nos chères petites têtes blondes ! La version de Bedford est sans surprise, très respectueuse, mais on pourra préférer la version de Britten lui-même, plus énergique et tendue, notamment dans la cavalcade finale de la Fugue pour plus de candeur et une ampleur orchestrale moins timide (English Chamber Orchestra, Decca 417 509-2).

La puissante valeur ajoutée du disque est la rarissime Occasional Overture de 1946, sans numéro d'opus, qui ne fut publiée qu'en 1984, soit près de dix ans après la mort de l'auteur. Rien d'un chef-d'œuvre immortel, mais c'est une sympathique pièce de commande de sept minutes, pleine d'énergie, écrite pour l'ouverture de l'antenne de BBC Third. Tant qu'à ouvrir l'antenne d'un média, et derechef la BBC qui était la vraie Voix du monde, Britten y va avec force trompette et tutti orchestraux ; et il a raison : l'événement était d'importance !

Mon tout fait un disque attachant à prix doux, sur lequel j'invite tous les néophytes en matière de musique anglaise à se jeter. Il propose de passionnantes lectures par Britten de l'histoire musicale de son pays. Bedford, à la tête de deux orchestres impeccables, l'English Chamber Orchestra et le London Symphony Orchestra, est irréprochable et fait de cette série Britten chez Naxos la référence en termes d'enregistrements numériques. À ceux qui n'ont pas peur du crin-crin propre à certaines captations analogiques, et même parfois mono, on ne conseillera cependant jamais assez l'intégrale Britten par Britten.

FXA