Chroniques

par laurent bergnach

Benjamin Britten
The turn of the screw | Le tour d’écrou

1 CD Glyndebourne Enterprises (2011)
GFOCD 011-07
Benjamin Britten | The turn of the screw

C’est « une curieuse histoire » que promet à qui l’écoute l’inconnu du prologue de l’opus 54 de Benjamin Britten (1913-1976) – laquelle est dévoilée par un retour en arrière, à l’instar de Billy Budd quelques années plus tôt [lire notre critique du DVD]. Au XIXe siècle, dans le manoir de Bly isolé en pleine campagne anglaise, une institutrice vient s'occuper de deux orphelins, Miles (douze ans) et sa sœur Flora (huit ans). Mise à part une lettre annonçant le renvoi de l'école du garçon, rien de troublant dans leur quotidien, jusqu'à ce que, par deux fois, l’enseignante surprenne une silhouette masculine. Par Mrs Grose, la gouvernante terrifiée, elle apprend que cet homme aux cheveux roux ne peut être que Peter Quint, le valet qui séduisit Miss Jessel, l'ancienne préceptrice aujourd'hui disparue, avant de mourir des suites d'une glissade. Face à ces deux fantômes qui recherchent la compagnie des enfants, la nouvelle arrivée s’engage à débarrasser la maison de toute corruption, mais en vain : envoûtée, Flora lui criera toute sa haine et Miles, ayant renié son tentateur, meurt dans ses bras.

Créé le 14 septembre 1954 au Teatro La Fenice (Venise), The turn of the screw déconcerte la critique par un livret plein de mystère et de mort – en cela, rien de nouveau chez Britten si l’on songe au rôle-titre marginal de Peter Grimes (1945) [lire notre critique du DVD] –, mais aussi par la perversité de ce jeu trouble de séductions impliquant des enfants. Pour ces deux actes avec prologue que le compositeur dirigeraient au disque l’année suivant sa création mondiale et londonienne (Sadler's Wells Opera), Myfanwy Piper s'est inspirée d'une célèbre nouvelle éponyme d’Henry James (1898) dont elle conserve quinze des vingt-quatre épisodes. Pour sa part, Britten garde le souvenir d’une adaptation « inquiétante et sinistre » de la BBC, entendue en 1932, de ce qu’il nomme un « incroyable chef-d’œuvre ».

Le présent enregistrement convie l’auditeur à une production du Glyndebourne Festival Opera de 2006 (dans une mise en scène signée Jonathan Kent), reprise durant l’été 2007. Camilla Tilling (Governess) y offre un chant souple et évident, Anne-Marie Owens (Mrs Grose) un mezzo incisif, parfois instable mais plein d’autorité, tandis qu’Emma Bell (Miss Jessel) s’avère un soprano sonore et imposant. Archétype du ténor anglais (façon Padmore, etc.), William Burden (Peter Quint et Narrateur) possède une voix claire et saine. Enfin, Joanna Songi et Christopher Sladdin incarnent Flora et Miles avec justesse.

Avec ses treize instrumentistes, The turn of the screw est une œuvre résolument intimiste. Edward Gardner conduit les musiciens du London Philharmonic Orchestra avec vivacité et relief, mordant parfois, en cultivant l’aspect inquiétant de la partition – la chambre nocturne (Acte I, Scène 8) ou la troublante volée de cloches (Acte II, Scène 2) – contrebalancé par des épisodes à la couleur jazzy qui contrastent somme toute bizarrement.

LB