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Chroniques
Benjamin Britten
War Requiem
Cinquante ans, jour pour jour, après sa création lors des festivités d’inauguration de la nouvelle cathédrale de Coventry – qui voyaient aussi celle de King Priam de Tippett [lire notre critique du DVD] –, le War Requiem Op.66 de Benjamin Britten retrouve l’édifice, le 30 mai 2012. Pour l’occasion, le City of Birmingham Symphony Orchestra et son Chœur investissent le lieu face à sept cameramen auxquels on doit aujourd’hui de pouvoir revivre l’événement.
Le jeune chef letton Andris Nelsons impressionne d’emblée par la précision qu’il instille à Requiem aeternam. Dans cette architecture qui rend hommage aux ruines après le bombardement, une douceur consolante traverse le ppp choral, d’une exactitude à couper le souffle. L’aura chambriste du grand effectif surprend positivement, dans le halo acoustique où surgit la voix du ténor pour Anthem for Doomed Youth. Les mélismes de bois bénéficient d’un traitement exemplaire, de même que le montage télé, d’une grande intelligence.
Après un Miserere aux confins du silence, le chef s’abstient de toute théâtralité au fil d’un Dies irae initialisé par des sonneries anciennes – cousines de celles de Gloriana, par exemple [lire notre chronique du 25 mai 2012]. La nuance est soigneusement choisie, invitant le baryton à poser Voices en grande sensibilité. Après Mark Padmore, c’est Hanno Müller-Brachmann, en habitué de cette œuvre, qui lui offre l’impact de sa voix. L’entrée du soprano Erin Wall s’effectue en moelleuse souplesse, « confortable », pour ainsi dire (peut-être l’acoustique vitrée de la cathédrale n’y est-elle pas pour rien). L’angoisse de l’Angleterre en guerre se polarise dans le passage – celle que partagent les Psalm d’Imogen Holst, entre autres [lire notre critique du CD]. Équilibré, le duo The Next War distille le franc antimilitarisme du compositeur dans le ton d’ironie mordante du soldat, tandis que le chœur Ricordare, Pie Jesu développe une tendresse toute féminine. Si Müller-Brachmann parut timoré il y a quelques temps à Saint-Denis [lire notre chronique du 4 juillet 2007], le voici parfaitement à son aise dans une partition qu’il possède sans conteste.
Avec son occupation particulière de l’espace, on pourra presque dire ce War Requiem « spatialisé ». Ainsi la maîtrise d’enfants (plus précisément The City of Birmingham Symphony Orchestra Youth Chorus) est-elle placée derrière le public, en tribune, à l’opposé du chef, ce qui crée des effets incomparables y compris dans la captation – contrairement à l’exécution par la même équipe il y a quelques jours à Paris [lire notre chronique du 8 juin 2013]. De l’Offertorium la fugue nait dans une effervescence heureuse qui soudain suspend les voix enfantines sur la parabole d’Abraham sacrifiant Isaac. À l’inverse, l’interprétation du Sanctus s’affirme délibérément païenne, imprécation tragique et puissante magnifiée par un « Hosanna » de péplum.
Lové dans l’Agnus Dei, le poème d’Owen, At a calvary near the ancre, laisse Mark Padmore s’exprimer en toute évidence. Le timbre offre une clarté simple au numéro, contredite par l’austérité relative du début du Libera me. « Il me semble avoir échappé à la bataille », dit-il encore, dans une simplicité nue. Les pizz’ mahlériens de Let us sleep now engagent un départ serein, sans tristesse, confirmé par la caresse d’Et lux aeterna. Concentrée (hormis quelques grimaces du baryton – fermons les yeux…), sensible, extrêmement précise, cette exécution du War Requiem ne laisse pas indemne.
BB