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Chroniques
Benjamin Britten
Death in Venice | Mort à Venise
Deux ans et demi avant la naissance de Britten (1913-1976), et à l’heure même où Mahler quitte ce monde (18 mai 1911), Thomas Mann (1875-1955) séjourne à Venise. C’est là qu’il aperçoit un jeune noble polonais de quatorze ans sortant de la mer que sa nouvelle Der Tod in Venedig (1912) décrirait à la fois tel un « être vivant, virginalement pur et austère » et « comme une légende primitive transmise depuis la nuit des temps ». De l’écrivain en rupture avec le naturalisme de ses débuts, Luchino Visconti obtient ces mots au début des années cinquante :
« l’histoire est essentiellement une histoire de mort, mort considérée comme une force de séduction et d’immortalité, une histoire sur le désir de la mort. Cependant le problème qui m’intéressait surtout était celui de l’ambiguïté de l’artiste, la tragédie de la maîtrise de son art. La passion comme désordre et dégradation était le vrai sujet de ma fiction. […] À cela s’est ajoutée l’expérience de ce voyage lyrique et personnel qui m’a décidé à pousser les choses à l’extrême en introduisant le thème de l’amour interdit. Le fait érotique est ici une aventure anti-bourgeoise, à la fois sensuelle et spirituelle ».
Qui d’autre que Britten aurait pu saisir la nécessité de mettre en musique cette histoire habitée par un artiste (comme lui vieillissant), un jeune garçon et l’omniprésence de l’eau ? À la fin de l’année 1970, avec l’accord de la librettiste Myfanwy Piper et des héritiers de Mann, le créateur d’Owen Wingrave [lire nos chroniques du 25 novembre et du 7 octobre 2014] se penche sérieusement sur la conception de son ultime opéra, lequel serait créé à Snape Maltings, le 16 juin 1973, durant le vingt-sixième Aldeburgh Festival.
En 2007, loin de l’oppression postromantique de Pier Luigi Pizzi [lire notre critique du DVD], Deborah Warner signait une mise en scène reposant sur une scénographie simple et de « bon goût ». Des reflets lumineux sur un sol humide en permanence, le vent de la plage qui agite les rideaux d’une chambre et des ciels jaunes à la Turner participent au dépaysement. Filmée avec soin lors des reprises de juin 2013, au Coliseum (Londres), la production propose des chorégraphies acrobatiques signées Kim Brandstrup, dans lesquelles excelle le jeune Sam Zaldivar (Tadzio).
Portés par un Orchestra of English National Opera vivace et incisif, tonifié par Edward Gardner, les chanteurs se révèlent excellents. Si John Graham-Hall (Aschenbach) inquiète tout d’abord (instabilité, usure, vibrato), la voix retrouve assez vite une précision et une lumière inattendues qui donnent plaisir à suivre les nombreux monologues d’un écrivain habitué à une vie de détachement et de solitude. Andrew Shore livre avec souplesse des incarnations convaincantes et habitées, tandis que Tim Mead (Apollo) allie sureté et santé. Marcus Farnsworth (employé de bureau) retient notre attention, avec son timbre clair et robuste, doublé d’un phrasé naturel.
LB