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Chroniques
Benjamin Britten
Billy Budd
Entre 1839 et 1844, Herman Melville (1819-1891) passe une partie de sa jeunesse en mer. Cette expérience nourrira ses écrits à venir, dont l’incontournable Moby Dick (1851), emblème du romantisme américain qui assure sa notoriété. On le découvre mousse sur un navire de commerce cinglant vers Liverpool, engagé à bord d’un baleinier sillonnant le Pacifique ou encore simple matelot sur une frégate militaire. Pour son ami Benjamin Britten (1913-1976), l’écrivain Edward Morgan Forster se penche avec Eric Crozier, déjà librettiste de deux ouvrages lyriques en 1947 puis 1948 [lire notre critique des DVD Albert Herring et Let’s make an opera], sur le dernier roman du New-Yorkais, Billy Budd, un manuscrit inachevé publié à titre posthume (1924). Un opéra en quatre actes en découle, créé au Royal Opera House, le 1er décembre 1951.
Quelques années plus tard, Britten profite d’une adaptation radiophonique pour réduire le matériau. Cette version en deux actes, aujourd’hui la plus fréquente même si certains théâtres ne renoncent pas à la toute première, est créée le 9 janvier 1964. En collaboration avec Londres et Rome, le Teatro Real de Madrid propose une nouvelle production, confiée à Deborah Warner. La metteuse en scène s’appuie sur Michael Levine (scénographie) et Jean Kalman (lumières) pour construire une épure de l’Indomitable, à l’aide de cordages et de plateaux qu’on croirait luisant d’embruns, lesquels s’élèvent à différentes hauteurs pour matérialiser le pont supérieur ou découvrir les hamacs des marins pendus au plafond. Tout au long du spectacle, par son corps même ou en agitant ces surfaces suspendues, le chœur maison flanqué de figurants propose différents mouvements de houle qui affirment la présence maritime.
Plus que tout, le travail de Warner est axé sur une direction d’acteurs approfondie, révélatrice de subtilités. Ainsi, elle aborde le trio principal – à travers lequel « on est confronté à l’universalité de l’expérience humaine » – en rejetant les étiquettes trop faciles de gentil et méchant, ou en présentant des officiers aussi déchirés que leur capitaine, lors de du procès. Enfin, à raison, elle distille des gestes de tendresse et d’affection dans ce microcosme non seulement dépourvu de femmes mais surtout d’une mansuétude que leur refuse un semi-esclavage. Il est dommage que la caméra hystérique de Jérémie Cuvillier, soucieuse de variété au point de garder des plans bons pour la poubelle, viennent saboter ce beau travail théâtral, souvent même lors de moments-clés [lire notre chronique du 22 février 2017].
À part quelques incarnations moyennes çà et là, la distribution est d’un haut niveau. Récent Pelléas et Horatio [lire nos chroniques du 19 octobre 2018 et du 30 juin 2017], Jacques Imbrailo retrouve le rôle-titre avec évidence et sans faillir [lire notre critique du DVD Opus Arte]. Toby Spence (Vere) ravit de même, avec son ténor sûrement projeté, et aussi Brindley Sherratt (Claggart), basse aux graves charnus et profonds. On aime aussi les officiers chantés par Thomas Oliemans, souple et caressant, le saillant David Soar (Flint) et Torben Jürgens (Ratcliffe). Dans le reste de l’équipage, signalons les prestations saines et efficaces de Duncan Rock (Donald), Clive Bayley (Dansker), Francisco Vas (Squeak), Manuel Esteve (Bosun), sans oublier Sam Furness (Le Novice), un des plus nuancés de l’équipe qu’accompagne en fosse, attentif, l’excellent Ivor Bolton.
LB