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Chroniques
Benjamin Britten
The turn of the screw | Le tour d’écrou
Créé le 14 septembre 1954 à La Fenice de Venise, The Turn of the Screw rencontre un accueil mitigé de la part d'une critique déconcertée par le livret. Rien de nouveau pourtant, puisque Mayfanwy Piper s'est inspiré d'une nouvelle d’Henry James, parue en 1898, dont elle a respecté au mieux l'architecture. Cependant, il est vrai qu'elle est étrange, cette histoire, à commencer par son titre, qui décrit plus un climat (« le serrage de vis », censé rendre compte d'une oppression graduelle) qu'une action réelle.
Au XIXe siècle, dans le manoir de Bly isolé en pleine campagne anglaise, une gouvernante vient s'occuper de deux orphelins, Miles et sa sœur Flora. Mise à part une lettre annonçant le renvoi du jeune garçon de l'école, rien de troublant dans leur quotidien, jusqu'à ce que, par deux fois, la gouvernante surprenne une silhouette masculine. Par Mrs Grose, l'intendante terrifiée, elle apprend que cet homme aux cheveux roux ne peut être que Peter Quint. Ce valet du maître de maison a séduit Miss Jessel, l'ancienne gouvernante aujourd'hui disparue, et lui-même est mort à la suite d'une glissade. Face à ces deux fantômes qui recherchent la compagnie des enfants, la nouvelle venue fera tout pour éloigner la perversion de la maison, mais en vain : envoûtée, Flora lui criera toute sa haine et Miles, ayant renié son tentateur, meurt dans ses bras.
Si le mystère et la mort accompagnaient déjà les activités du pêcheur Peter Grimes (1945) [lire notre critique du DVD], si la fascination et la chute seront au cœur de Death in Venice (1973), Benjamin Britten aura choisit ici un sujet particulièrement pervers car offrant de multiples interprétations, surtout psychanalytiques : seule à voir les fantômes, la gouvernante est-elle saine d'esprit, seulement hystérique ? Qui, de Miss Jessel ou de Miles, est le plus fasciné par la figure virile qu'incarne Quint ? Etc. La mise en scène de Luc Bondy – qui met en évidence les demandes d'aide de Miles –n'édulcore pas ce jeu de séductions multiples, osant un Quint torse nu dans la chambre du garçon et une gouvernante dénouant ses cheveux au moment du dernier interrogatoire. Les possibilités variées de changement de décor, l'éclairage soigné et la réalisation vidéo de Vincent Bataillon concourent à installer une ambiance fantastique, tendue et angoissante, au sein de laquelle évolue des artistes de talent, tous très bien distribués.
Avec une voix en pleine forme, moins en retrait et contrôlée que dans d'autres productions, Mireille Delunsch est parfaite, dans la lutte comme dans l'épuisement. Elle rend crédible son combat avec l'ancienne gouvernante, alors que le pari était risqué. Hanna Schaer, d'une voix énorme, apporte le poids qu'il faut à Mrs Grose. Marlin Miller est un Peter Quint vaillant et très nuancé, Marie McLaughlin une Miss Jessel souple et d'une belle plénitude. Nazan Firke et Gregory Monk, les deux orphelins, sont convaincants, de même qu'Olivier Dumait, narrateur au timbre limpide.
Daniel Harding dirige avec précision le Mahler Chamber Orchestra, utilisant à bon escient les alliages timbriques de Britten, dans une partition quasiment soliste d'un bout à l'autre. L'excellence et l'enthousiasme des musiciens finissent de faire de cette production aixoise de 2001 un spectacle d'exception.
LB