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Chroniques
Benjamin Britten
Gloriana
Quand il écrit Gloriana – durant la période marquée par la mort du roi George VI, le 6 février 1952, et le couronnement d'Elisabeth II, le 2 juin 1953 –, Benjamin Britten se trouve au sommet de sa créativité. Avec une demi-douzaine d'opéras à son actif, âgé d'une quarantaine d'années, il est en passe de devenir le premier compositeur lyrique en Grande-Bretagne. Pourtant, le géniteur talentueux de Peter Grimes et Billy Budd, confiant dans un sujet profond et fascinant, va se sentir profondément blessé. Directeur de Covent Garden, le comte de Harewood se souvient de la première de gala du 8 juin 1953 comme de « l'un des plus grands désastres de l'histoire de l'opéra. Le public applaudit (s'il applaudit) plus que timidement, et la presse, critiques aussi bien que journalistes, fustigea le lendemain le compositeur, l'interprétation et les choix... Il est clair que les gens s'attendaient à une espèce de glorification naïve, pas un drame tendre et passionné comme celui que Ben avait imaginé ». Dans la mesure où le succès fut au rendez-vous des représentations suivantes, on peut comprendre la gêne d'un public venu fêter – en sa présence – une toute jeune reine, alors que le spectacle dépeint son illustre aïeule en proie aux douleurs du devoir, voire de la ruine physique.
Quarante ans plus tard, en décembre 1993, Opera North reprend l'œuvre dans une mise en scène de Phyllida Lloyd, lui offrant tout d'abord un nouveau public puis l'occasion d'être enregistré. Gloriana, un film naît en 1999, bien plus original que du simple théâtre filmé. Lloyd s'en explique : « Je voulais me servir de la caméra pour exploiter les thèmes de la vie publique et de la vie privée présents dans l'opéra [...] En suivant Elisabeth en coulisse, on perçoit mieux le tourment suscité par son dilemme et l'intensité de la vie intérieure de Dame Josephine Barstow dans le rôle principal ». La centaine de minutes de pellicule (des scènes ont été supprimées pour le format télé) met donc l'accent sur la relation entre la reine et le comte d'Essex, en y intégrant des moments de loges ou de tombers de rideau.
Le film a forcément profité de la présence de Josephine Barstow, chanteuse à la voix ample doublée d'une actrice charismatique, qui possède un large éventail d'expressions et un engagement incontestable dans le rôle. Elle est entourée de Tom Randle (Essex aux attaques aigues très fines), d'Eric Roberts (Sir Cecil fiable), de Clive Bayley (Sir Raleigh terne et souvent à côté de la note), etc. Les ensembles vocaux sont superbes ; les pastiches d'airs et de danses Renaissance conduits aisément par Paul Daniel à la tête de l'English Northern Philharmonia. On regrettera juste une prise de son parfois lointaine, mais qui n'enlève rien à cette intrigue bien filmée, avec différents points de vue qui tiennent en haleine le spectateur. En bonus, on découvrira les confidences de quelques serviteurs de cette œuvre « élégiaque et austère ».
LB