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Chroniques
Benjamin Britten (d’après John Gay)
The beggar’s opera | L’opéra des gueux
Dans les premiers temps du XVIIIe siècle, la vogue du ballad opera marque Londres, faisant suite à la création de The Beggar's Opera, le 29 janvier 1728. La popularité de l'ouvrage de l'écrivain John Gay (1685-1732), arrangé alors par John Christopher Pepusch (1667-1752) [lire notre critique du DVD], tient à sa peinture d'habitants des bas-fonds (à la place des habituels héros antiques) et à l'utilisation de brèves mélodies populaires au sein d'airs venant alterner avec le dialogue parlé. Benjamin Britten en offre une analyse enthousiaste :
« Les mélodies sur lesquelles John Gay a écrit ses paroles aussi justes que spirituelles comptent parmi nos meilleurs airs nationaux. Ces airs du XVIIe et du XVIIIe siècle, généralement baptisés airs traditionnels, me semblent les plus typiquement anglais de nos chants populaires. Ils ressemblent souvent étrangement à du Purcell et à du Haendel, et pourraient, peut-être, les avoir influencés, ou avoir été influencés par eux. Ils ont des intervalles forts, disjoints, parfois dans des modes curieux, et sont souvent de climat étrange et sévère. »
Quelques mois après la première d'Albert Herring en juin 1947 [lire notre critique du DVD], avec un même effectif instrumentale, il n'est pas étonnant de voir le compositeur se lancer dans son propre arrangement du chef-d'œuvre de Gay (ajout de préludes et postludes tirés des airs eux-mêmes, peu retouchés, création d'ensembles vocaux, etc.), car un même esprit frondeur rapproche les protagonistes des deux ouvrages : tandis que Herring finit par découvrir les plaisirs de la vie sous la pression d'une société bien pensante, Polly Peachum transgresse, en se mariant, la norme de son milieu où la mauvaise conduite est de règle – soit l'individu contre le groupe, le leitmotiv de l'opéra brittenien, avec ici la fantaisie en plus.
Diffusée le 31 octobre 1963, avec Meredith Davies à la tête de l'English Chamber Orchestra, cette production de la BBC Television nous rappelle combien l'ouvrage est mordant. Avec sa mise en scène vivante, drôle et tendre, Charles R.Rogers fait oublier l'image en noir et blanc ainsi que le son mono d'une bande néanmoins restaurée et remasterisée, et offre l'occasion de briller à la jeune génération d'alors : Janet Baker incarnant avec onctuosité et couleur une Polly charismatique, Heather Harper en Lucy tour à tour mégère et élégante, Kenneth McKellar offrant un Macheath souple, qui se risque avec succès à des attaques en voix mixte, et Bernard Dickerson prêtant à Filch ses traits de ténor clair. Saluons cette sortie d'archives qui ne sent pas la poussière.
LB