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Chroniques
Benjamin de la Fuente
œuvres variées
Puisque la maison ronde regroupe aujourd’hui dix pièces de Benjamin de la Fuente (né en 1969), revenons à un entretien signé par l’un de ses piliers en février 2015, Christian Wasselin, pour mieux connaître un créateur sans concession. Élevé dans un climat propice à la découverte sonore, entre Paganini et The Platters, le jeune mélomane demande à apprendre le violon. Mais l’expérience est humainement décevante : « […] j’ai eu un professeur très dur qui m’a brisé les pattes. J’aimais mieux aller écouter la classe de jazz du dessus ! ». À Toulouse où il intègre une section pilote, le Bordelais s’épanouit au contact de disciplines stimulantes (musique mixte, improvisation, etc.) tout en écrivant des chansons pour son groupe de rock. Vient ensuite Paris où il continue d’apprendre auprès de Gérard Grisey et Bertrand Dubedout, redécouvre le violon et comprend que son désir de créer doit le mener à imaginer son propre style.
On connaît mieux la suite. Incapable de composer en restant seul chez lui, Benjamin de la Fuente fonde Sphota (2000) avec d’anciens camarades de classe, afin de produire des spectacles réunissant leurs talents d’inventeur et d’instrumentiste, utilisant « l’électro-acoustique comme un Orient, comme un ailleurs, pour sortir du cadre » [lire notre chronique du 6 juin 2008]. Avec son collègue Samuel Sighicelli, il développe ensuite Caravaggio (2004), autour du rock et du jazz expérimental. Aujourd’hui, le violoniste se partage entre deux façons d’écrire, en fonction des conditions rencontrées : « je ne peux pas faire improviser des musiciens si je n’ai pas le temps de travailler avec eux. Je profite de la composition pour écrire des choses qui ne pourront jamais s’improviser ».
Collection d’enregistrements faits souvent dans l’urgence par divers ensembles (Acouphène, Court-circuit, Ictus, Intercontemporain, etc.), avec un son parfois perfectible et quelques erreurs d’exécution – c’est l’intéressé lui-même qui précise –, cette monographie est un disque-témoin d’une époque donnée (1997-2015). Elle fait la part belle aux formations avec électronique : Pris de court (Nanterre, 1999), Cassure d’âme (Paris, 2000), Redbone (Nice, 2000), Accord d’argile (Paris, 2003), Play the game (Paris, 2006) et On fire (Paris, 2015). Dans le domaine purement acoustique, on trouve Flip (Gand, 2011), Touche (Gand, 2011), Freewheel (Paris, 2011) et À distance (Paris, 2012).
On s’en rend vite compte : la musique du quadragénaire repose sur une énergie libre, parfois quasiment panique. Citons On fire où, rageuse et formidable, la comédienne Piera Formenti débite un chapelet d’accusations signées Malcolm X (1925-1965), le militant assassiné à Harlem [lire notre chronique du 7 février 2015]. Citons également Flip : mélange de surprises et de reconnaissances, la pièce avec deux batteurs (Éric Echampard, Gerrit Nulens) et sampler (Jean-Luc Plouvier) frôle plusieurs états sans s’installer jamais (psychédélique, ludique, bruitiste, etc.). Cette dernière caractéristique se retrouve dans Cassure d’âme (touche de raga indien, de gigue irlandaise).
À l’instar de Play the game, les sons bruts ne palpitent jamais sans d’autres plus délicats : dans À distance, l’exultation percussive est nuancée par un violon en intériorité (Jeanne-Marie Conquer), tandis qu’un métal romitellien rencontre un raffinement spectral dans Accord d’argile. Il faut y ajouter Freewheel, avec sa sauvagerie soyeuse teintée d’humour, et Touche, sextuor animé qui se laisse tenter par une contemplation bien sûr toute relative. Toujours inventif, Benjamin de la Fuente séduit avec des textures complexes, souvent écloses de peu d’éléments, des climats toujours étonnants voire audacieux. C’est le cas de Pris de court et de Redbone, dont la nostalgie oppressante (amorce de tango, romance démodée) pourrait accompagner une nuit de cauchemar à l’Hôtel Overlook (The shining, 1980).
LB