Chroniques

par laurent bergnach

Bernard Herrmann
Wuthering Heights | Les Hauts de Hurlevent

1 coffret 3 CD Accord (2011)
4764653
version de concert de Wuthering Heights donnée à Montpellier en juillet 2010

Comme le rappelle Marc Vignal dans la brochure accompagnant le livret bilingue et les trois CD du coffret, la parution de Wutherings Heights, en décembre 1847 – soit deux mois seulement après celle de Jane Eyre, écrit par l’aînée des trois sœurs Brontë –, choqua « par son manque de respect envers les conventions morales, la noirceur de ses personnages et de ses situations et la violence de certaines scènes ». Une fois encore, certains critiques se couvrirent de ridicule, à juger l’un des livres les plus puissants du XIXe siècle romantique comme dénué de « la grâce de l’art [et de] la vérité de la nature », voire « grossier » ou « d’une vulgarité répugnante ». Qu’auraient-ils écrit encore si derrière le pseudonyme d’Ellis Bell on avait soupçonné une jeune femme à la veille de ses trente ans, férue de tragédies grecques et de chroniques villageoises, pianiste passionnée par Beethoven ?

Quelques années après le cinéma – en 1939, William Wyder met en scène Merle Oberon et Laurence Olivier en amants de la lande –, Bernard Hermann (1911-1975) s’attache au roman d’Emily Brontë dont il tire un opéra en quatre actes avec prologue, sans doute commencé en 1943 et achevé en 1951. Comme librettiste, le compositeur attitré d’Hitchcock choisit Lucille Fletcher, son épouse d’alors, qui s’intéresse surtout à la première partie de l’ouvrage que clôt la mort de Cathy. Plusieurs thèmes sont empruntés à ses contributions passées pour le septième art – Citizen Kane (1941), The Ghost and Mrs. Muir (1947) –, quand d’autres annoncent Vertigo (1958) et North by Northwest (La mort aux trousses, 1959). Refusant la moindre coupure dans l’ouvrage, Hermann se condamne à n’en jamais vivre la création. Celle-ci a lieu à Portland (Oregon) le 6 novembre 1982.

« Il est important de savoir, écrit le compositeur, que cet opéra se définit comme un drame lyrique et qu’une importance primordiale y est accordée à l’expressivité vocale. On y trouve très peu de récitatifs, mais plutôt une forme intensifiée de parlé lyrique. On peut voir là du néoromantisme, moyen d’expression qui m’apparaît idéal pour l’histoire des Hauts de Hurlevent.[...] L’orchestre peut être considéré comme décrivant le paysage de chaque acte et le temps qu’il y fait, le roman lui-même étant largement fondé sur l’identification des personnages avec leur environnement et avec l’atmosphère et la couleur du jour. En bien des points, chaque acte est un paysage en forme de poème symphonique enveloppant les personnages. »

Après un prologue à la noirceur mélancolie, la plongée dans l’histoire d’amour contrariée de Catherine et Heathcliff se déroule dans une grande économie de moyens (avec des réminiscences de Wagner, Puccini et Debussy), sans le kitsch musical qu’on aurait pu redouter. On sent l’ouvrage investit par son auteur pour en faire autre chose qu’un produit pour Broadway. Laura Aikin et Boaz Daniel s’emparent des rôles avec lumière, le second à l’aide d’un aigu parfois difficile, mais la première particulièrement souple et détendue. Aux côtés de Vincent Le Texier (Hindley), Jérôme Vannier (Joseph) et Nicolas Cavallier (Lockwood), Yves Saelens (le policé Linton) s’avère le seul ténor d’un univers tout en sauvagerie. Hanna Schaer (Nelly Dean) et Marianne Crebassa (Isabella) campent des personnages attachants.

Cet enregistrement témoigne de la version de concert proposée au public malheureusement clairsemé du Corum, lors de l’avant-dernier Festival de radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon [lire notre chronique du 14 juillet 2010]. À la tête de l’orchestre local, la lecture d’Alain Altinoglu s’avère des plus limpides et contribue à faire de cette parution une belle surprise.

LB