Chroniques

par laurent bergnach

Bernard Thomasson
Dictionnaire amoureux de la Maison de la radio et de la musique

Radio France / Plon (2023) 702 pages
ISBN 978-2-259-31614-9
Dictionnaire amoureux de la Maison de la radio et de la musique

« Sûrement tout a déjà été dit sur tout, mais pas par toi ! » Par cette phrase d’encouragement d’un ami metteur en scène, Bernard Thomasson s’est persuadé, un jour, de vaincre ses doutes et de faire publier nombre de pages formant recueil de nouvelles, récit ou même roman. C’est qu’à l’origine, l’auteur de ce Dictionnaire amoureux de la Maison de la radio et de la musique – volume intégrant chez Plon une collection vivace qui fêtera bientôt son quart de siècle – est moins à l’aise avec une plume qu’avec un micro. Fils d’un militant communiste aux mille métiers et d’une mère de six enfants, tous deux curieux et ouvert d’esprit, Thomasson connaît des débuts éreintants mais passionnants à Radio France Limoges, apprenant son métier sur le terrain (reportages, commentaires sportifs, etc.), avant de gagner Paris. Il tombe alors amoureux de la maison ronde, puis de sa future compagne qui y travaille. Pour raconter sa relation toute subjective avec la première, il conte sa propre expérience, mêlée à des souvenirs et anecdotes lus ailleurs ou collectés directement.

Bien évidemment, il faut raconter l’origine d’une institution soixantenaire, évoquée dans plusieurs entrées du dictionnaire (Architecture, Chantier, Terrain, etc.). Elle remonte à la Seconde Guerre mondiale, un conflit qui donna ses lettres de noblesse à la radio française et conduisit à imaginer un lieu qui lui serait destinée, afin de réunir une quarantaine de sites dispersés dans Paris. Durant l’été 1952, l’État acquiert un terrain de 38 000m², quai de Passy, dans le XVIe arrondissement : laissé à l’abandon depuis la démolition d’une usine à gaz, à la fin des années vingt, celui-ci a l’avantage d’être préservé des vibrations d’une quelconque ligne de métro. Au mois de septembre, le Journal officiel diffuse l’avis de concours lancé par la RTF. Vingt-six projets entrent en concurrence, dont est retenu celui d’Henry Bernard (premier Grand Prix de Rome en 1938), jugé comme répondant le mieux au cahier des charges établi sous la houlette de Léon Conturie, ingénieur général des télécommunications et chef du service des bâtiments.

Pour l’architecte urbaniste des Trente Glorieuses, la fonction fait l’édifice, et c’est en avant-gardiste qu’il déjoue les pièges d’une construction en bordure de Seine. Des pilotis de béton assurent la stabilité de l’édifice dans un sol argilo-calcaire, dont la forme arrondie s’explique, pour des raisons acoustiques, par le choix de pièces trapézoïdales (bureaux de conception, studios de réalisation, etc.). Le bâtiment s’élève aussi sur une dizaine d’abris antiatomique – protégeant depuis certains ordinateurs stratégiques –, constitué de plusieurs parties : la Grande couronne (culminant au dixième étage, et abritant cinq kilomètres de couloirs), la Petite couronne (six étages) ainsi que la Tour centrale (vingt-deux étages). Dix mille panneaux d’aluminium inoxydables recouvrent et protègent la structure dont un système géothermique, alors inédit en Europe, assure le chauffage et la climatisation. Quant à la décoration, on ne lésine pas sur les bas-relief, mosaïque, sculpture ou tapisserie signés Bazaine, Bezombes, Mathieu, Soulages, etc. Charles de Gaulle inaugure la (sa ?) Maison de la radio le 14 décembre 1963.

La mission de celle qui fut classée Monument historique voilà peu est claire : informer, éduquer, cultiver et divertir. Bernard Thomasson passe en revue des productions devenues cultes – Flagrants Délires, Radioscopie, Jeu des 1000 francs, Papous dans la tête ou encore Route de nuit, la toute première émission nocturne en France, en 1955 – et s’attarde sur ceux qui en furent l’âme – José Arthur, Macha Béranger, Louis Bozon, Christophe Dechavanne, etc. Il n’oublie pas quelques autres œuvrant dans l’ombre, tels Yann Paranthoën et Pierre Schaeffer [lire notre critique de Symphonie pour un homme seul], sans parler des musiciens appartenant aux orchestres national et philharmonique, des bruiteurs, pompiers, maçons et menuisiers qui forment un ensemble de plusieurs milliers de salariés, potentiellement grévistes (1968, 1994) ou victimes de l’épidémie de Covid-19 (2020). Amiante, attentat ou incendie font aussi partie des dangers encourus par le personnel, sans parler des onze tonnes d’ammoniaque qui furent stockés là pendant trop longtemps…

De la Maison de la radio – et de la musique, depuis 2021 –, d’aucuns disent que c’est un lieu que personne n’a jamais visité de fond en comble, un lieu toujours en travaux. Ce qui est certain, c’est qu’elle évolue sans cesse, hébergeant un temps une coopérative et une banque, fauchant les studios 102 et 103 pour faire éclore un auditorium d’exception, s’adaptant à l’essor de l’automobile puis au retour de la bicyclette. De bocal en sous-marin, de cantine en rucher, l’auteur nous accompagne dans ses différents espaces, parfois même extra-muros, évoquant ainsi le Studio Ferrié situé sous le pilier nord de la Tour Eiffel et les entrepôts où sont conservées de vraies cloches d’église. De même que l’invention du son de demain (immersif, multicanal), le transport des instruments du passé n’est pas oublié par ce témoin privilégié qui capte l’attention par la diversité de son menu et enrichit notre culture par la substance de ses plats.

LB