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Chroniques
Bernd Alois Zimmermann
œuvres pour orchestre
Marqué par une éducation humaniste et chrétienne, de même que par sa pratique de l’orgue baroque, Bernd Alois Zimmermann (1918-1970) a le malheur d’intégrer certaines campagnes militaires de la Seconde Guerre mondiale (France, Pologne, Russie), au terme desquelles il écrit : « la désorganisation monstrueuse de la vie spirituelle s’étend sur moi avec une lourdeur paralysante et, avec une lenteur révoltante, avec certitude, désagrège tout mon organisme » (7 juin 1945). Sans même parler du choix de Lenz pour son opéra Die Soldaten (1965) [lire notre critique du DVD], on peut voir dans ce constat une explication sinon la prémonition de son suicide, après des années de fragilité nerveuse, et dans l’attente d’une cécité annoncée.
Comme le rappelle Philippe Albèra (Le son et le sens, Contrechamps, 2007), le natif de Bliesheim n’a pas rejeté l’Histoire musicale à l’inverse de jeunes gens qui partageront leurs idées à Darmstadt, dès 1946 : privé de toute information sous le nazisme, il éprouve le besoin d’un regard en arrière (Bartók, Hindemith, etc.). D’où plusieurs périodes successives à son catalogue (néoclassique, expressionniste, sérielle, pluraliste et statique), traversées de constantes jugées triviales par les tenants d’une musique « absolue » (jazz, citations, etc.). De fait, ses propres démons et un isolement relatif donnent à Zimmermann une place à part dans la seconde moitié du XXe siècle.
Trois œuvres symphoniques de l’Allemand, parmi les dernières, forment ce programme enregistré en 2012. Frère d’Aloys et Alfons, pianistes mythiques de l’avant-garde d’après-guerre, Bernhard Kontarsky guide d’abord le Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des Südwestrundfunk dans le Concerto pour violoncelle en forme de « pas de trois » (Strasbourg, 1968). Regroupant le soliste Jan-Filip Ťupa, Philipp Marguerre et Sasha Reckert jouant sur verre, cette partition plaît par son équilibre entre parties dépouillées, irriguées de finesses timbriques, et d’autres plus rythmiques, tel Tempo di marcia, avec sa vigueur industrielle empruntée à Stravinsky et Mossolov.
Vient ensuite le « ballet noir » Musique pour les soupers du Roi Ubu (Berlin, 1968) qui, à l’instar de l’œuvre précédente, fut donné en concert avant d’être dansé. Cet hommage à l’irrévérence de Jarry se veut comique – la pompe institutionnelle est tournée en dérision –, mais assez oppressante et macabre. En effet, passée la blague des emprunts (Klavierstück IX, Symphonie fantastique, Walkürenritt), Marche du décervelage s’avère glaçante de noirceur et d’amertume. Témoins d’une réduction de matériel que visait le créateur dans sa dernière facture, les esquisses orchestrales du posthume Stille und Umkehr (Nuremberg, 1971) ferment le programme, avec tempo unique et faibles nuances. Pour notre part, apprécions une préfiguration de l’avenir (Romitelli, Grisey, etc.).
Comme pour l’intégrale pianistique de Pierre Boulez chez le même éditeur [lire notre critique du CD], des documents sonores côtoient la musique : une demi-heure d’entretien restauré avec Zimmermann (été 1968), un autre de l’écrivaine Mirjam Wiesemann avec York Höller, ancien élève de Zimmermann au conservatoire de Cologne (1963-1970) ; enfin des textes écrits et lus par la dramaturge Elke Heidenreich. Faut-il préciser que tout s’énonce dans la langue de Brecht ?
LB