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Chroniques
Bernd Alois Zimmermann
arrangements variés
Dire que Bernd Alois Zimmermann n’a pas été que le compositeur du fameux opéra Die Soldaten [lire nos chroniques des mises en scène de David Pountney, Willy Decker, Alvis Hermanis, Calixto Bieito, Andreas Kriegenburg, Vassili Barkhatov, Peter Konwitschny et Carlus Padrissa] serait enfoncer des portes ouvertes et faire l’impasse sur les grands opus que sont Canto di speranza, Photoptosis, Requiem für einen jungen Dichter [sur ces deux-là, lire notre chronique du 2 juin 2015], Antiphonen ou encore la suite pianistique Extemporale [lire notre critique du CD d’Eduardo Fernández], ainsi que sur la géniale action ecclésiastique de 1970, Ich wandte mich und sah an alles Unrecht, das geschah unter der Sonne. En 1966, le compositeur rhénan achevait un ballet noir qui verrait le jour le 25 avril 1968, à Düsseldorf : Musique pour les soupers du roi Ubu. Outre la référence au personnage d’Alfred Jarry, l’œuvre contient moult citations de pages musicales du passé, dans une verve parodique fort inspirée et soigneusement conçue, selon un savoir faire qui ne s’improvisait pas.
En effet, dès l’après-guerre, dans l’Allemagne en reconstruction, les radios régionales gagnent un pouvoir qu’a bien du mal à se représenter le commentateur de cette fin de premier quart de XXIe siècle où le service public n’est que peau de chagrin. On sait le rôle extraordinaire des radios allemandes dans la diffusion de la musique du second XXe siècle, à travers des séries de concerts entièrement dédiées à la création, dont de nombreuses commandes. On sait moins que ces mêmes radios n’ont pas uniquement soutenu les courants esthétiques de leur temps et ont parallèlement offert beaucoup de musique de divertissement, pour ne pas dire de répertoire léger, à leurs auditeurs. De même que les grands orchestres radiophoniques eurent pour mission de défendre les compositeurs d’alors, plusieurs formations instrumentales furent employées à cette autre activité. Sans cesse en quête d’arrangements de pages plus connues d’un auditoire âgé, ces dernières ont eu recours à des musiciens de talent qui ne rechignèrent pas à une tâche qui ne justifie pas qu’on se pince le nez en y jetant les yeux.
Trentenaire tout fraîchement diplômé, Zimmermann ne demande pas mieux que de s’y mettre, surtout qu’il a une famille à nourrir. En 1947, il se signale à ses formations et aux radios de Cologne et de Hambourg par une lettre où il affirme « accepter tout type de travail », comme le précise Rainer Peters dans la notice abondamment documentée, et même passionnante, de ce coffret discographique. De fait, le voilà bientôt engagé. Il s’attellera à honorer ces commandes avec autant de sérieux que d’ouverture d’esprit, n’en déplaise au cercle de Karlheinz Stockhausen qui n’hésita guère à le mépriser pour cette activité. À considérer les quelques exemples ici donnés – ils occupent tout de même trois CD –, on observe aisément que Zimmermann semble avoir eu son mot à dire dans le choix des pièces à adapter et plus de liberté qu’on l’imaginerait quant à l’instrumentarium convoqué. On ne saurait douter qu’à tel exercice il acquit une véritable science de l’arrangement dont son œuvre immanquablement bénéficia.
Bouleversé par les poètes russes, Zimmermann approchait également la musique russe par son art, adaptant des pages de Balakirev, Lyadov, etc. Sous la direction d’Heinz Holliger, le WDR Sinfonieorchester livre son abord de Moussorgski avec Reiseeindrücke aus der Krim, extrait des Images de Crimée pour piano, et de la petite suite pianistique Au village, transcrits pour orchestre en 1950 de façon richement colorée, proche en cela de Borodine et Rimski-Korsakov. Loin de dédaigner Rachmaninov, comme il était de bon ton de le faire alors, Zimmermann orchestre l’un des sept numéros de l’Opus 10, signant en 1950 la Romanze qui convoque saxophone et clarinette basse dans un duo mélancolique, voire poignant à la manière d’une musique pour le cinéma – dès 1945, Brief Encounter, le film de David Lean, faisait copieux usage de Rachmaninov. Encore s’est-il ingénié à faire vaillamment bondir l’Humoresque, puisée au même recueil, dans son bref Concertino pour piano et orchestre d’après Rachmaninov (1950), idéalement servi par Ueli Wiget. Plus généralement, la musique d’Europe de l’Est est présente. Ainsi des Impressions poétique Op.85 de Dvořák dont la Causerie fit en 1953 l’objet d’une orchestration à l’élégance infinie. Smetana, le grand aîné, est représenté par deux danses plutôt lourdes, il le faut avouer. En épigraphe de la troisième des Sept pièces Op.11 de Kodály (1918), on lit le premier vers du poème de Verlaine, Il pleure dans mon cœur (1874). En 1949, Zimmermann s’en empare par le biais d’un quatuor à cordes, d’une contrebasse et d’un piano – Il pleut dans la ville.
La profuse bigarrure de la musique latino-américaine fut une manne pour Milhaud, de sorte que l’Allemand porterait en 1951 au grand effectif deux des Saudades do Brazil de 1922. On goûte la tendresse de Leme et la fine agilité de Sorocaba. Avec A lenda do caboclo (La légende du sang-mêlé), Villa-Lobos signait en 1920 un autoportrait d’une profonde tristesse. Trente-trois ans plus tard, Zimmermann s’en saisit magistralement. Exilé au Brésil et en Bolivie en 1939, l’archéologue, ethnologue et écrivain Hans Helfritz y collecte la musique dont il rend compte en la confiant au piano. Zimmermann arrange trois de ces Danses sur le modèle bolivien, en 1957. Nous découvrons les attachants Chunchitos, Laquitas et Pjusi-Phias. Encore est-ce le Brésil qu’il explorait musicalement entre 1951 et 1955 avec Alagoana, une suite de cinq mouvements hautement contrastés (Ouvertüre, Sertanejo, Saudade, Caboclo et Finale). On retrouve le Bolero pianistique d’Extemporale (1943) dans une instrumentation qui le rend nettement plus exotique (1950).
Car si le compositeur s’est adonné à l’arrangement de nombreuses œuvres d’autres musiciens, il adapta également les siennes propres. Ainsi du mouvement central de la Petite suite pour violon et piano de 1942, Intermezzo, élégie orchestrée en 1949 et dès lors sous-titrée Valse triste. On n’en finirait pas d’énumérer les trésors de cet enregistrement précieux, au risque de faire double emploi avec la notice précitée qui guidera bien assez l’auditeur. Outre de croiser des pages de Busoni, Casella, Liszt et Weckerlin, il appréciera des raretés de Walter Niemann et de Cyril Scott, entre autres. Quant aux œuvres de Bernd Alois Zimmermann lui-même, si Rheinische Kirmestänze, Souvenir d’ancien ballet (d’après Johann Caspar Ferdinand Fischer) et le Concerto pour orchestre sont presque des curiosités, les lectures alerte de Kontraste (1953) et parfaitement dramatique de la Sinfonie in einem Satz, jouée dans sa deuxième mouture (1953), enfin surtout celle, rigoureuse, de l’intrigant Stille und Umkehr, Orchesterskizzen (1970) – quel dépouillement ! –, ultime opus orchestral du compositeur, répondant à la commande de la cité de Nuremberg pour le cinq centième anniversaire de la naissance de Dürer, sont une plongée remarquable.
Avec ce coffret, WERGO signe, une nouvelle fois, un essentiel.
BB