Chroniques

par laurent bergnach

Berthold Goldschmidt
Beatrice Cenci

1 DVD C Major (2019)
751408
Johannes Debus joue "Beatrice Cenci", un opéra signé Berthold Goldschmidt

Natif d’Hambourg, Berthold Goldschmidt (1903-1996) s’implique très tôt dans la vie musicale de sa ville adoptive, Berlin. En effet, l’élève de Schreker se distingue à des postes de répétiteur de chœur ou d’assistant chef d’orchestre, parfois en lien avec des créations signées Schönberg (Gurrelieder, 1923) ou Berg (Wozzeck, 1925). À partir de 1926, date de son premier contrat avec les Éditions Universal (Vienne), il mène de front une carrière de compositeur et de chef d’orchestre, qui se heurte bientôt à l’ascension nazie. De confession juive, le compositeur est mis à l’index et conduit à l’exil. Londres devient sa nouvelle patrie, et c’est comme citoyen britannique qu’il exerce un demi-siècle avant de s’éteindre.

Conçu en 1950, Beatrice Cenci fait suite à un premier opéra achevé vingt ans plus tôt, Der gewaltige Hahnrei (Le cocu magnifique). Martin Esslin, le librettiste, résume en trois actes la tragédie versifiée de Percy Bysshe Shelley, The Cenci (1819), difficilement représentable en Angleterre à l’époque, au regard des thèmes abordés (inceste, parricide), mais encensée par les hommes de lettres britanniques (Byron, Shaw, etc.). Rappelons que l’intrigue s’inspire du triste destin d’une jeune noble du XVIe siècle (1577-1599), devenue symbole de la résistance à une aristocratie arrogante.

Éprise d’Orsino qui se destine à la prêtrise, Béatrice, de même que son frère Bernardo et leur belle-mère Lucrezia, est aux mains du comte Francesco Cenci, puissant tyran familial qu’aucun excès ne rebute. Elle tente d’éveiller l’attention lors d’une fête qui clôt le premier acte, mais les invités restent sourds à son malheur, moins par indifférence que par peur des représailles. Lorsque le Cardinal Camillo réagit enfin, souhaitant faire arrêter le comte, celui-ci vient de trépasser, assassiné par des tueurs à gages. Reconnues comme commanditaires, torturées puis condamnées à mort, Beatrice et Lucrezia n’obtiennent pas du Pape la grâce attendue pour avoir souffert ce qu’elles ont souffert.

Tombé dans l’oubli, l’ouvrage renaît en avril 1988, grâce à une version de concert, puis à la production scénique du Bregenzer Festspiele trois décennies plus tard. Celle-ci fait entendre le livret allemand élaboré par Goldschmidt lui-même [lire notre chronique du 18 juillet 2018]. Johannes Erath y excelle pour mettre en relief, de façon simple, la puissance de l’argent, l’aveuglement du clergé ou l’ambiguïté sexuelle d’un débauché, pariant sur une solide direction d’acteurs et les costumes luxuriants imaginés par Katharina Tasch. Preuve d’élégance, il opte pour une stylisation du dernier acte, là où d’aucuns eurent recouru aux effets gore [lire nos chroniques d’Un ballo in maschera, Make no noise et Otello].

Dans le rôle-titre, Gal James domine la distribution avec un soprano somptueux qui transcrit les souffrances successives d’une jeune prisonnière [lire nos chroniques de Das Rheingold, Die Walküre et Götterdämmerung]. Ses consœurs, toutes deux mezzo-sopranos, sont Djamila Kaiser (Lucrezia), dont l’expressivité s’éveille à mesure qu’approche le danger [lire notre chronique d’Amleto], et Christina Bock (Bernardo), avec un nombre de phrases moindre [lire notre chronique de La passagère]. Les barytons montrent une belle santé, que ce soit le wagnérien Christoph Pohl (Francesco) [lire nos chroniques de Capriccio, Tannhäuser, Les Troyens, Parsifal et Tristan und Isolde], Wolfgang Stefan Schwaiger (Marzio) [lire notre chronique de Die Soldaten] ou Sébastien Soulès (Olimpio) [lire notre chronique de Cinq-Mars] – ce dernier devenu depuis le symbole des artistes ayant dû renoncer à leur art à cause de la pandémie de Covid-19. Enfin, on apprécie le ténor éclatant de Michael Laurenz (Orsino) [lire nos chroniques de Szenen aus der Leben der Heiligen Johanna, Wozzeck, Der Prozess et Orest] et la basse sonore de Per Bach Nissen (Camillo).

Quoique dépourvu de sous-titrage en langue française – il faut se débrouiller en anglais, allemand, coréen ou japonais… ce qui laisse supposer que l’on ne parie pas un centisimo sur la curiosité gauloise –, ce spectacle vaut aussi le détour pour la direction de Johannes Debus, à la tête des Wiener Sinfoniker. Avec son large répertoire – « de Mozart à Adès », lit-on parfois –, le chef allemand [lire nos chroniques du 14 juin 2005 et du 5 juillet 2014] soigne le postromantisme de cet ouvrage au belcantisme revendiqué qui ravira l’amateur de Mahler et Puccini. Le Chœur Philharmonique de Prague (Pražský filharmonicky sbor) est, quant à lui, préparé par Lukáš Vasilek.

LB