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Chroniques
Bertrand Dermoncourt
Dimitri Chostakovitch
Quelques mois avant l'achèvement de l'année du centenaire Chostakovitch qui fêta la musique du compositeur soviétique, Bertrand Dermoncourt publiait chez Actes Sud, dans la collection Classica – le mensuel qu'il dirige –, cette brève biographie qui synthétise plusieurs sources : Le destin russe et la musique de Lemaire [lire notre critique de l’ouvrage] et Chostakovitch de Meyer, tous deux parus chez Fayard, mais aussi Témoignage et Chostakovitch et Staline de Volkov [lire notre critique de l’ouvrage], tout en se référant à d'autres ouvrages, dont l'étude de Gregor Tassie sur Mravinski, par exemple ; à ces lectures viennent s'ajouter des propos directs, comme ceux que Rostropovitch a confié à l'auteur quant à la simplicité voulue de la 12ème Symphonie « 1917 » à la mémoire de Lénine.
Ainsi, après avoir précisé les origines polonaises de Chostakovitch, né le 25 septembre 1906 à Saint-Pétersbourg, nous suivons, depuis ses premières leçons de piano avec sa mère puis Ignacy Glasser, son entrée dans la classe de composition de Steinberg au Conservatoire en 1919, la protection dont Glazounov (directeur de l'institution) et Nikolaïev (classe de piano) y entourent son jeune génie, jusqu'à la retentissante création de la Symphonie n°1, en 1926, tout en abordant les circonstances privées qui menèrent l'adolescent au clavier des salles de cinéma. Abandonnant tôt ses velléités de soliste pour se consacrer entièrement à la composition, il côtoie les intellectuels et les artistes de son temps, fréquente le théâtre pour lequel il écrira de la musique de scène, rencontre Meyerhold et écrit son premier opéra, Le Nez, d'après la nouvelle de Gogol, tout en trouvant à collaborer pour le 7ème art – entre 1929 et 1932, une douzaine de films est illustrée par ses compositions dont, en tout premier lieu, La Nouvelle Babylone de Trauberg et Kozintsev [lire notre chronique du 6 décembre 2005].
On le sait : ces beaux débuts ne chantèrent guère de longs lendemains, fauchés par l'indignation de Staline lorsqu'il vit Lady Macbeth de Mzensk, le second opéra de Chostakovitch, en 1936 ; de fait, le livre cite précisément le fameux article de laPravda du 28 janvier, un article qui marque le commencement d'une affaire dont le compositeur ne verrait jamais vraiment l'issue. S'ensuivra une période d'angoisse, celle de la fin des années trente, dont l'absurde aventure de l'arrestation de Sakrevski ressemble tristement à une invention, bien qu'elle soit véridique ! De persécutions en réhabilitations, de reconnaissances en brimades, le musicien doit jongler avec les caprices du régime et, après le dur procès de 1948, se réfugier dans un exil intérieur, soit écrire pour ses tiroirs des œuvres qui surgiront plus tard. En 1954, la mort de Nina, son épouse, le recroqueville un peu plus encore sur lui-même, et il entreprend un vaste cycle de quatuors à cordes. Bien que considéré officiellement comme le grand compositeur soviétique de son temps, Chostakovitch connaitra une nouvelle fois les avatars de la censure lors de la difficile création de sa 13ème Symphonie « Babi Yar », en 1962. Quelques années plus tôt, des douleurs dans les mains l'avaient contraint de cesser définitivement ses activités de pianiste, et l'on diagnostiquait alors une forme rare de poliomyélite, ces soucis de santé s'aggravant en 1966 par un infarctus puis un cancer des poumons. De longs séjours en hôpital jalonnent ses huit dernières années qui seront pourtant des plus fécondes. L'angoisse de la mort est présente dans la 14ème Symphonie, les Quatuors n°13 et n°15, l'ultime Sonate pour alto, partout. À l'hôpital du Kremlin, le 9 août 1975 s'éteignait Chostakovitch.
C'était faire acte d'honnête homme que de raconter cette vie-là. Le lecteur sera plus perplexe en constatant le regard peu nuancé que l'auteur prétend porter sur la réalité soviétique dont il ne saisit ni la complexité temporelle ni la place dans l'histoire russe. Il s'étonnera de rencontrer certains propos tenant lieu de jugements qu'on ne saurait croire intégralement naïfs. Cette façon de faire brandit volontiers des épouvantails moraux hors de propos, s'attachant entre autre à discréditer la modernité russe des années vingt. S'il préfère ne pas s'interroger sur la probité de l'auteur, le lecteur le fera peut-être sur ses facultés de discernement, voire sur sa culture, mais, en tout cas, ne manquera pas de relever avec quel adolescent emportement cet ouvrage dénonce le révisionnisme de certains chemins de pensée tout en les empruntant lui-même. Nous avions d'abord décidé de ne pas évoquer cet aspect, mais son ombre s'épanche sur près d'un tiers d'un livre qui se croit tenu de faire de la politique au lieu de rapporter des faits, même politiques.
BB