Dossier

entretiens et dossier réalisés par bertrand bolognesi
paris – avril 2010

Billy Budd
l'opéra de Britten à Bastille

Lucas Meachem (baryton) dans Billy Budd (Britten) à l'Opéra Bastille
© ian patrick | opéra national de paris

En avril 1996, le public parisien découvrait la mise en scène de Billy Budd par Francesca Zambello, avec, dans le rôle-titre, l'excellent Rodney Gilfry. Après avoir tourné dans plusieurs maisons d'opéra, cette production marquante repasserait par ici en octobre 2001, défendue cette fois par Bo Skovhus. Désormais légendaire, elle gagne une nouvelle fois les planches de Bastille pour huit représentations. Le point sur une reprise attendue, avec son metteur en scène, Francesca Zambello, et son baryton vedette, Lucas Meachem, qui connaît une double première puisque sa prise de rôle est aussi sa première apparition sur la scène de l’Opéra national de Paris.

entretien avec Francesca Zambello

Vous revenez aujourd'hui dans cette maison où vous avez mis en scène plusieurs ouvrages, pour la reprise du légendaireBilly Budd. Comment un créateur retrouve-t-il son travail plus de quinze ans après lapremière ?

Il ne s'agit pas de recommencer, naturellement. Avec une nouvelle distribution, beaucoup de choses changent. Il y a une prise de rôle, précisément pour Billy, alors que les autres grands personnages de l'opéra sont tenus par des chanteurs qui les ont déjà donnés. Lucas Meachem est un Billy tout neuf ! Il faut trouver avec chaque chanteur ce qui fonctionnera le mieux. Bien sûr, j'ai mon interprétation, et chacun des barytons qui ont fait cette production avait la sienne : nous devons les faire se rencontrer et parcourir un bout de chemin ensemble. En Captain Vere, Kim Begley a joué plusieurs fois cette mise en scène. Kurt Rydl a fait souvent Claggart, mais aussi un officier : du coup, il connaît plusieurs points de vue de la production. C'est toujours une joie de redécouvrirBilly Budd, car c'est un chef-d'œuvre absolu. C'est un vrai plaisir de revenir sur cette production, vraiment. L'arrivée d'artistes nouveaux crée une énergie nouvelle, une dynamique qu'il faut parfois repenser. Avec Jeffrey Tate, décidément un très grand chef, nous pouvons travailler chaque phrase, chaque mot, toujours plus proche du sens que la musique de Britten éclaire

Après Rodney Gilfry, Simon Keenlyside, Nathan Gun, Bo Skovhus, etc., c'est aujourd'hui Lucas Meachem qui incarne Billy. Cela implique-t-il des aménagements à cette reprise ?

Oui, nous avons eu beaucoup de marins (rires) ! Vous savez, j'adore reprendre cette œuvre parce que l'on peut toujours trouver quelque chose d'encore nouveau dans la musique et dans le texte. Vous avez l'impression d'avoir tout creusé en profondeur, mais en fait, vous pouvez aller plus loin encore. Billy Budd offre beaucoup de chemins. C'est inépuisable ! Par ailleurs, l'expérience de la vie nous change. Sans doute ne suis-je pas tout-à-fait la même personne qu'en 1994, et donc pas non plus le même artiste. J'arrive ici avec mon vécu, des idées qui ont pu changer, une façon de regarder le monde qui a forcément bougée depuis les premiers pas de ma mise en scène à Genève.

De Britten, vous avez monté Billy Budd mais aussi Paul Bunyan

J'ai fait Paul Bunyan à Covent Garden et Peter Grimes à Amsterdam. Dans ma jeunesse, j'ai mis en scène Noye's Fludde (L'Arche de Noë), l'œuvre conçue pour les enfants. Il y eut aussi Albert Herring, dans une production chantée en finnois. C'était une expérience très étonnante de le faire dans une langue comme le finnois. Pour moi, Britten est l'un des plus grands compositeurs du XXe siècle.

Avec lui, l'on n'est pas uniquement dans les ressorts du drame ; il y a une parabole, avouée ou non, qui induit un univers particulier…

Oui ! L'intrigue fonctionne toujours très bien, dans ses opéras. Mais beaucoup de thèmes y sont abordés. Dans Billy Budd : le bien et le mal, bien sûr, la religion, l'homosexualité, les questions de classes sociales qui sont réellement importantes pour les Anglais. Le livret regorge de toutes ces choses. C'est le triomphe de cette œuvre.

D'autres projets avec les opéras de Britten ?

Pas en ce moment. Mais j'aimerais beaucoup faire un jour A Midsummer Night's Dream (Le Songe d'une nuit d'été) – encore un chef-d'œuvre ! Les grandes opéras de Britten me plaisent particulièrement, Peter Grimes et Billy Budd. Je peux très souvent les visiter, ils m'apportent toujours quelque chose de nouveau.

Cette confrontation à vous-même pourrait-elle faire naître le désir de recommencer l'aventure de Billy Budd à zéro ?

Cela pourrait arriver avec un autre ouvrage, je crois. Dans une vie de metteur en scène, on peut faire plusieurs Tosca, plusieurs Carmen ou Bohème, mais pensez-vous qu'on fasse Billy Budd plus d'une fois ? Non. D'autant qu'en m'y confrontant aujourd'hui, je continue à trouver que ce travail (que j'ai proposé il y a tant d'années) fonctionne. Au fond, je suis assez fière de mon Billy Budd. Ce qui change, simplement, c'est d'ajuster, d'adapter la production aux nouveaux protagonistes. Le rapport entre les personnages est primordial. Les relations entre Claggart et Billy, entre Claggart et Vere, etc., sont tellement intéressantes, complexes ! Il faut donc se mettre d'accord sur beaucoup de détails avec tous les chanteurs. La pièce est un véritable jeu d'échec, avec ses tensions terribles, ses émotions, aussi. Il s'agit d'équilibrer les forces en présence. D'autant que beaucoup de choses ne sont pas dites. Alors, elles sont à exprimer sans mots.

Le propre du personnage central…

Oh Oui ! Et il y aurait beaucoup à dire – mais chut !

Dans votre parcours de metteur en scène, outre Alcina, Don Giovanni, der fliegende Holländer, on note un intérêt pour les grandes fresques, comme Guerre et Paix ou Boris Godounov, et, d'une autre manière, le Ring. Qu'est-ce qui vous attire dans ces œuvres qui impliquent l'histoire individuelle dans une histoire de plus vaste envergure (c'est d'ailleurs le cas de Butterfly ou encore de Street Scene de Weill) ? Vous définiriez-vous comme un metteur en scène de l'épopée ?

Francesca Zambello, metteur en scène de Billy Budd (Britten) à l'Opéra Bastille
© dr

Le plus important pour moi est toujours l'intrigue, le drame, l'histoire des personnages, ce qu'ils ressentent, ce qu'ils vivent, etc. ; et comment le raconter sur scène. Naturellement, si l'œuvre est forte, elle m'inspirera d'autant plus. Avant tout, il faut que la musique me parle. Je dois être en phase avec la musique. C'est elle qui ouvre le chemin. Ensuite, je dois sentir que j'aurai quelque chose à dire avec cette œuvre. Là, c'est le livret, mais aussi sa source. La plupart des opéras viennent d'un roman ou d'une pièce de théâtre qui s'inscrit dans une époque, dans un certain contexte historique, culturel. Avec tout cela, je dois être capable de créer un monde. Il est arrivé qu'on me propose telle pièce et qu'en m'y penchant je réalise que je n'aurais rien à y raconter, du coup que je ne saurais pas quoi en faire, tout simplement. Dans ce cas-là, je dis non, voilà tout. Il faut avoir le courage de dire non, quelquefois.

La présence du chœur vous inspire-t-elle ?

Toujours le chœur est important, si un bon compositeur a estimé qu'il devait le convoquer à tel moment de la pièce. Lorsqu'on aborde les opéras de Puccini, certains Verdi et le répertoire russe en général, le chœur prend souvent le devant de la scène. Il faut imaginer des solutions, savoir le déplacer, l'immobiliser à tel moment en toute connaissance de cause. Ensuite, il y a des œuvres qui demandent que l'on traite le chœur en tant que masse, d'autres où il est préférable de créer avec chaque choriste une identité précise. Dans Billy Budd, c'est un chœur de marins et d'officiers : il faut donc traiter des questions de classes sociales. Pour les Anglais, c'est très important : qui est à quel niveau ? Alors il faut donner à chacun une histoire individuelle. Ce travail-là est toujours passionnant, bien sûr. Mais gérer les grandes masses, dans d'autres types d'ouvrages, me plait aussi. J'ai pris beaucoup de plaisir à monter ici Turandot, Boris Godounov, Guerre et Paix. D'une autre manière, les religieuses des Dialogues des carmélites, que j'ai également mis en scène à l'Opéra de Paris, il y a quelques années, forment une sorte de chœur qui nécessite par moment un traitement individualisé, à d'autres d'être considéré comme une masse, même si elle est petite. Bref : chaque fois, c'est différent.

Et il y a les œuvres en marge du grand répertoire lyrique, comme Show Boat, Lady in the Dark ou West Side Story. Comment cet autre chemin se fait-il ? Des similitudes, des différences ?

Si ces œuvres s'inscrivent dans la continuité de la tradition lyrique, elles sont d'abord importantes pour le public américain et anglais plutôt que pour le mélomane européen. Elles constituent notre théâtre populaire, au fond. Elles m'intéressent aussi parce qu'elles se réalisent parfois avec des distributions hybrides, regroupant des chanteurs et des acteurs – et, même dans les voix, des voix lyriques et des voix typiques de la comédie musicale. J'ai constaté que Paris commence à s'y mettre, avec les programmations du Châtelet, par exemple, mais aussi le reste de la France. C'est une bonne chose, il me semble, que de pouvoir assister à West Side Story ailleurs qu'aux États Unis. Il est très différent de mettre en scène ces œuvres et de mettre en scène un opéra. Cela demande une autre préparation, convoque d'autres métiers du spectacle. On ne travaille pas de la même manière avec un comédien. Et il y a, bien sûr, la danse, omniprésente dans la comédie musicale ; il faut étroitement collaborer avec un chorégraphe lui-même spécialisé dans ce répertoire.

D'un point de vue pratique, c'est moins ou plus de travail, le même temps de répétition, etc. ?

Il faut un peu plus de temps de répétition, mais pas énormément. Sauf lorsqu'il s'agit d'une nouvelle œuvre, bien entendu. Une création demande énormément de travail.

Vous avez monté Moscou Quartier des cerises (Мockba Чepюмyшkи) de Chostakovitch. N'est-ce pas une œuvre intermédiaire entre ces deux genres ?

Oh, j'en garde un excellent souvenir ! C'est une tentative de Chostakovitch de créer un théâtre populaire, quelque chose comme la comédie musicale, en effet, et qu'en France vous appelez opérette, mais ce n'est pas le bon terme, je crois. Pour lui, ce ne fut pas une expérience idéale, en fait, mais la pièce est vraiment agréable à monter, très drôle. Tout le monde veut y avoir accès à un nouvel appartement : c'était alors un problème soviétique sensible, d'où une mordante ironie, un sarcasme permanent.

Y a-t-il un chemin stylistique entre Мockba Чepюмyшkи et la comédie musicale ?

Bien sûr, mais il y a aussi une forte filiation avec le grand répertoire lyrique. Tous les compositeurs de comédies musicales ont beaucoup écouté les opéras. Irving Berlin, George Gershwin, etc., connaissaient parfaitement l'opéra. Leur jeunesse était nourrie de cette musique. Le chemin a changé dans la confrontation avec le mélange musical américain, avec le jazz, les folklores importés, déformés, avec les quatorze opéras-comiques de Gilbert and Sullivan, etc.

En projet ?

Le Ring à l'Opéra de San Francisco. Ensuite, je ferai une nouvelle production de Carmen à Pékin – dans ce bel œuf tout neuf (rires) ! En septembre, je prendrai la direction du Festival de Glimmerglass (dans l'état de New York) dont j’assumerai la programmation estivale. Je travaille également avec le Théâtre Guthrie de Minneapolis (dans le Minnesota) pour une nouvelle œuvre composée à partir d'un roman de Norman Mailer.

le baryton américain Lucas Meachem chantera Billy Budd à Paris
© dr

entretien avec Lucas Meachem

Vous répétez actuellement le rôle-titre de Billy Budd. C'est très différent que d'aborder Almaviva, Onéguine ou Papageno, n'est-ce pas ?

Oui ! Billy Budd est un opéra moderne qui propose un type de mélodie tout à fait inhabituel pour un chanteur coutumier du répertoire classique. C'est une œuvre terriblement intelligente. Un chanteur n'y entre pas aussi facilement que dans celles que vous évoquez. Benjamin Britten est parfaitement maître de son style, quand il écrit Billy Budd, et il choisit de conduire l'expressivité du personnage dans une écriture hachée. Un jeune chanteur passe beaucoup de temps à travailler le legato, et voilà un rôle qui lui demande de saccader la phrase ! De ce point de vue, il est plus facile de chanter Onéguine qui convoque la souplesse que l'on s'est évertué à cultiver. Ce sont des chemins vocaux différents.

Chanter dans votre langue maternelle est-il un avantage, un confort, ou, au contraire, nuit-il à la facilité de distance dont le jeu a besoin ?

C'est une lame à double tranchant. Ça me plait de pouvoir chanter l'opéra dans ma propre langue, bien sûr. Mais en même temps, cette langue n'offre pas la possibilité d'une réelle ligne vocale. De par son accentuation, elle est hachée, essentiellement rythmique. Pour un chanteur, cela demande beaucoup d'énergie, c'est épuisant. En anglais, je peux aisément exprimer ce que je veux, sans me poser de question de sens. Tout est mis à portée. Mais je chante facilement l'allemand, l'italien, le français, le russe, des langues chantantes – où la mélodie glisse dans le flux – qui ne me posent aucun problème. En ce qui concerne la distance à prendre avec le personnage ?... Vous savez, à l'opéra les choses viennent d'abord de la musique. C'est la partition que l'on met en voix. Ensuite seulement, on se préoccupe du texte, de la langue dans laquelle il est écrit, dans laquelle il faut chanter, etc. Pour les chanteurs, le personnage nait de la musique. C'est par elle que le compositeur traduit une histoire, n'est-ce pas ? De fait, si ces langues possèdent des musicalités spécifiques, on ne chante pas d'une voix différente le russe, l'italien ou le français. La musique et le chant ne sont pas altérés par les mots.

En général, les chanteurs français disent qu'il leur est plus malaisé de chanter en français que dans une autre langue. Est-ce la même chose pour un anglophone ?

Absolument. Il m'est affreusement difficile de chanter en anglais. C'est probablement la langue la plus difficile pour moi. Je n'ai vraiment pas ce problème avec le français, par exemple. Voyez-vous, il se trouve que j'ai grandi dans une région des États-Unis où se parle un très mauvais anglais. Du coup, j'ai mon propre mauvais américain et mon propre bon américain, mais pour Billy Budd il me faut encore un bon anglais british ! Je travaille dur ma diction pour cette prise de rôle, beaucoup plus que pour Iphigénie en Tauride, Pelléas ou Faust. Je ne parle pas français. Aussi, lorsque j'apprends un rôle dans votre langue, je le fais le plus techniquement qui soit, et, au besoin, j'y suis aidé par un coach qui me reprend jusqu'à ce que les mots soient parfaitement prononcés. Mais c'est le chant qui les prononce. En anglais, je n'ai pas la possibilité de ce genre de référence technique. En revanche, étant Américain, personne ne me pardonnerait une erreur, bien sûr.

Comment percevez-vous ce personnage paradoxal qui, ayant du mal à s'exprimer par la parole, est devenu personnage d'opéra ?

C'est l'aspect le plus complexe du rôle. Il présente différents types de bégaiement, toujours provoqués par l'émotion brute : enrôlé sur L'Indomptable, il est celui d'un déboussolé au milieu de gens qu'il ne connaît pas, puis il sera celui de la colère, celui de l'indignation, enfin celui de la frustration et du désespoir. Il n'est pas simple d'être à la fois musicalement juste et de faire passer ces nuances-là. Cela dit, il est toujours dangereux de laisser trop d'émotion gagner le chant, alors…

Faut-il comprendre que, pour le compositeur, la voix exprimerait l'être profond au delà des mots ?

Vaste sujet ! Imagine-t-on d'aboyer ainsi dans Wagner ou Mozart ? Pourtant, leurs œuvres sont également traversées d'émotions. Le fait est qu'il ne faut jamais en faire trop, d'autant que Britten est très précis dans sa notation. Tout est dans la partition. Il a usé beaucoup d'encre pour tout, y compris pour le bégaiement, au point même de s'avérer assez pédant. Les indications sont copieuses, tant il s'est attelé à faire comprendre ses intentions et à les faire respecter. Il faut chanter le rôle comme il le demande, tant il met du cœur à décrire le résultat souhaité. Comme pour Mozart et Wagner, du reste : vous devez vraiment vous imprégner de leurs compositions, intérioriser la partition dans ses moindres détails, pour, une fois le rôle acquis, trouver votre propre chemin.

Comment cela se passe-t-il de rentrer dans une mise en scène déjà existante, par rapport à une création dont vous êtes protagoniste dès les débuts de l'aventure ?

J'entre dans cette production en étant moi-même, simplement. Je crois ne rien garder de ce que j'ai pu voir dans le DVD. Mais, au fond, c'est peut-être un mensonge, sans le vouloir, car tous les chanteurs, lorsqu'ils regardent une production sur DVD, y prennent ce qui leur plait. Et vous pouvez être sûr que s'ils détestent quelque chose, ils ne s'en souviennent même pas (rires) ! J'essaie toujours d'apporter quelque chose de différent à tous les rôles que j'aborde, même s'ils sont très éloignés de moi. Et aussi pour Billy. Certains artistes jouent le rôle, d'autres connaissent le rôle. Billy est un homme attirant, que certains disent beau, etc. Pour moi, c'est surtout un bon gars, un peu naïf. Un être à part, mais dans le bon sens : il va trop loin, il est trop gentil, trop bon, il donne toujours, et c'est pour cela qu'il est tellement séduisant. Bien sûr, il lui arrive aussi des choses désagréables, mais il garde toujours le sourire. Il ne s'embarrasse pas de ses problèmes. Il fait en sorte que les gens s'aiment toujours plus pour que tout le monde soit heureux. C'est ce que j'essaie d'exprimer. Des anciennes distributions, je connais les chanteurs qui ont fait Billy. Ce sont mes amis. Ils ont leur vision du rôle. Moi, je tâche d'en faire le type le plus sympa que vous ayez jamais rencontré, la personne chouette qui vous dit « Can I help you ? ». Vous savez, où j'ai grandi, il y avait des gens comme ça. Au fond, ce rôle me ramène un peu à la maison.

Vous chantez à New York, Londres, Munich, Tokyo, Rome, Los Angeles, etc. Comment percevez-vous le travail ici, à Paris ?

La grande différence est que tout est en français (rires) ! Ce qui est amusant, c'est qu'il soit décidément si différent de travailler ici ou là mais qu'en même temps c'est un peu la même chose. Les maisons d'opéra se ressemblent comme deux gouttes d'eau. J'ai une loge, des habilleuses et des maquilleuses s'occupent de moi, etc. Ce qui est fondamentalement différent est de vivre à Paris. J'adore Paris ! Je trouve les gens formidable, tellement gentils. Pour moi, c'est une belle expérience. Et c'est nouveau d'aller boire un café avec les collègues – un déca-noisette, c'est ma boisson parisienne ! Bien sûr, le bâtiment a sa propre ambiance. Je crois que l'Opéra Bastille est bon pour la production du son mais pas pour la réception. C'est une très grande maison, tellement grande que je m'y perds toujours – il me faut une demi-heure pour m'y retrouver (rires) ! C'est un lieu incroyable, de par sa taille, son infrastructure, la technique dont il dispose. On y peut alterner les productions sans encombre : derrière la scène se trouve une autre scène, et encore une autre scène, une possibilité rare de stockage et d'organisation.

Dans quels rôles vous entendrons-nous prochainement ?

Fritz et Franck dans Die tote Stadt, au Teatro Real de Madrid, deux bons rôles – et c'est un très bel opéra de Korngold, complexe.

le romancier américain Hermann Melville écrit Billy Budd en 1891
© hulton archiv | getty images

genèse

Billy Budd, gabier de misaine est d'abord le roman écrit par l'Américain Hermann Melville [photo] en 1891, juste avant de mourir. Alors qu'il sert sur Les droits de l'homme, le matelot Billy Budd est enrôlé de force sur L'Indomptable. Outre les noms ô combien symboliques de ces vaisseaux, notons que le premier est un navire marchand tandis que le second est destiné à la guerre. Jeune, costaud, ne renâclant jamais à la tâche, bon camarade et beau garçon, Billy, nouveau promu gabier de misaine qui bégaie dès qu'une émotion se saisit de lui, est tout de suite la coqueluche de l'équipage. Bientôt nait un sentiment trouble chez le maître d'armes, Claggart : à la fois admiratif et jaloux de la sympathie que Billy s'attire, probablement troublé par le jeune homme, vraisemblablement en lutte avec un désir informulé, non défini, il se laisse envahir par une haine paradoxale. Son seul but : détruire Billy Budd.

Profitant d'un vent de mutineries alors inquiétant dans la flotte britannique qui le réprime sans merci, à Vere, capitaine de L'Indomptable, Claggart dénonce le matelot comme fomentant une révolte. Sage, ménageant son autorité auprès du belliqueux pour mieux défendre l'innocence dont il est convaincu, Vere confronte les deux hommes. Mais l'entretien tourne mal : sous le choc et l'indignation, Billy perd ses moyens, aboie ses habituels bégaiements et, impuissant, frappe son accusateur qui meut sur le champ. Certes, il est innocent de ce projet mutin inexistant, mais le voilà coupable de meurtre, qui plus est du meurtre d'un officier. Aussi sera-t-il pendu.

Après qu'on en eut découvert le manuscrit dans un pot à biscuits, ce bref roman sera publié en 1924, une trentaine d'années après la disparition de l'auteur. En 1949, le compositeur italien Giorgio Ghedini (1892-1965) met un point final à la partition de son huitième opéra, Billy Budd, inspiré du roman de Melville dont il a concentré la trame sur un acte unique.

Deux ans plus tard, l'Anglais Benjamin Britten (1913-1976) présente à Covent Garden (1er décembre 1951) son opus 50 au public : Billy Budd, son septième opéra, dans une version en quatre actes qu'il réviserait en 1964 pour l'articuler en deux. CommePeter Grimes,Billy Budd connaît immédiatement un grand succès, tant auprès du public que de la critique. Britten a encadré l'action d'un Prologue et d'un Epilogue confié à Vere, un rôle tout spécialement écrit pour son ami Peter Pears qui en sera le créateur.

Dans cet ouvrage, on retrouve les grandes préoccupations de Britten, et principalement l'incompréhension que peut provoquer l'innocence chez les êtres qui l'ont à jamais perdue, incompréhension menant toujours au pire. Ainsi Billy partage-t-il certains airs de famille avec plusieurs personnages britténiens : Grimes est condamné alors même que le public le sait innocent, à cette différence près que Billy est aimé par l'équipage tandis que Grimes, bouc émissaire, n'attire que la haine ; la pureté de Lucrèce (The Rape of Lucretia) provoque la concupiscence de Tarquinius ; les petits Flora et Miles sont détournés de l'enfance par les pervers Quint et Jessel (The Turn of the Screw) ; la bonté d'Owen (Owen Wingrave), la lumière de sa conscience politique, ne rencontrent qu'incompréhension, et le voilà bientôt banni par les siens.

Terrible point commun : tous meurent. C'est vers Tadzio, l'adolescent qui fascine Gustav von Aschenbach (Death in Venice) et le rosier Albert (Albert Herring) qu'il faudra chercher espoir sans croiser le sacrifice.

BB