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Chroniques
Brett Dean
Hamlet
Né le 23 octobre 1961 à Brisbane – la capitale du Queensland, un des six états du Commonwealth d’Australie –, Brett Dean rejoint l’Europe en 1984. Plus précisément, les Berliner Philharmoniker lui ouvrent leur porte en Allemagne : il en sera l’un des altistes quatorze ans durant. Dès 1988, il commence à composer, d’abord concentré sur des projets radiophoniques, des films expérimentaux et des séances d’improvisation. Puis il revient s’installer au pays natal – avec à la clé un doctorat honorifique de l'Université de Griffith –, tout en conservant des liens avec la terre d’adoption – il fut artiste en résidence au Radio Sinfonieorchester Stuttgart des Südwestrundfunks durant la saison 2007/2008. Son premier opéra, Bliss (2010), voit le jour à Sidney, suivi d’Hamlet, le 11 juin 2017 [lire notre chronique], au Glyndebourne Opera Festival, avec Vladimir Jurowski à la tête du London Philharmonic Orchestra.
Comme lu dans la notice accompagnant le DVD (texte en anglais), l’homme de théâtre Matthew Jocelyn, déjà librettiste pour Oscar Strasnoy (Le bal, 2010 ; Requiem, 2014), fut soulagé qu’il n’existât pas de version définitive d’Hamlet. En effet, approché par Brett Dean pour ce projet, il sait que la tragique histoire écrite par Shakespeare se décline en plusieurs variantes surnommées Premier quarto (1603), Second quarto (1604) et Premier Folio (1623), et qu’on ne pourra pas lui reprocher de trahir la pièce. Ce reproche est d’autant moins justifié que Jocelyn a tenu à recourir aux seuls mots du Barde, sans ajouter les siens, pour ce qui demeure sa pièce la plus longue. Après trois jours d’analyse de l’œuvre, en compagnie du compositeur et de son épouse, et une retraite de dix jours, un livret de douze scènes est validé. Durant les mois de mise en musique qui s’ensuivent, Dean écoute les nombreux conseils d’une équipe enthousiaste : le chef d’orchestre rappelle que la maison possède un orchestre modeste, mais aussi un chœur remarquable (The Glyndebourne Chorus), tandis que le metteur en scène glisse l’idée de distribuer Rosencrantz et Guildenstern à des contreténors – une bonne façon de mettre de l’humour dans un spectacle de deux heures trois quarts !
Neil Armfield a privilégié la direction d’acteurs à l’exotisme du cadre conçu par Ralph Myers : un grand salon de palais, avec portes-fenêtres et moulures quasi intemporelles, qui se délite au cours de l’intrigue. En effet, les murs se dessoudent, pivotent pour découvrir leur verso, à l’occasion de scènes plus intimistes (la prière de Claudius, la confrontation mère-fils, etc.), etc. Les visages sont grimés d’un blanc blafard, les corps vêtus de sombre (Alice Babidge), baignés par des lumières parfois fantomatiques (John Clark). On est au théâtre, et cela fait toute la différence.
Cependant, on reste à l’opéra, grâce à une distribution éblouissante.
Dans le rôle-titre, une partition tendue ne met pas en difficulté Allan Clayton, lequel offre un ténor sûr et impacté d’un bout à l’autre de l’ouvrage. Dans la même tessiture, on apprécie douceur et souplesse chez David Butt Philip (Laertes), clarté et sonorité chez Kim Begley (Polonius). Le rang des barytons est bien défendu par Rodney Gilfry (Claudius), ample et expressif, et Jacques Imbrailo (Horatio), sous-employé ici. John Tomlinson multiple les interventions d’une basse fatiguée (Spectre du Vieil Hamlet, Fossoyeur, Comédien), tandis que les contreténors Rupert Enticknap (Rosencrantz) et Christopher Lowrey (Guildenstein) dynamisent l’ouvrage, quasi-jumeaux de voix comme de mimiques. Chez les dames, sans hésiter, on préfère la sobriété émouvante de Sarah Connolly (Gertrude), dont le phrasé élégant et le timbre moelleux donnent pleine satisfaction, au cabotinage irritant de Barbara Hannigan (Ophelia) dont l’intonation imprécise martyrise nos oreilles.
LB