Chroniques

par laurent bergnach

Brian Ferneyhough
Univers parallèles – Essais et entretiens sur la musique

Contrechamps (2018) 502 pages
ISBN 978-2-940068-53-1
Contrechamps publie essais et entretiens de Brian Ferneyhough (né en 1943)

« Toute ma vie, j’ai cherché à rester en dehors de la société, alors qu’elle est l’objet constant de ma réflexion. Je me suis éloigné de ma classe sociale d’origine pour aller vivre à Londres, ensuite j’ai quitté Londres pour l’étranger, puis l’Allemagne pour l’Amérique, et j’ai récemment quitté l’Université de San Diego pour celle de Stanford. » Voilà ce que déclarait Brian Ferneyhough – une soixantaine d’années résumées en deux phrases – au moment de créer Shadowtime [lire notre chronique du 26 octobre 2004 et notre critique du CD]. Pour mieux connaître le compositeur, quelques détails sourdent de l’ouvrage édité et préfacé par Philippe Albèra où sont réunis plusieurs essais sur la musique, des autoanalyses d’œuvres (les quatuors à cordes, notamment) et quelques entretiens. La plupart d’entre eux sont issus de l’édition anglaise des Collected Writtings (1995), quelques-uns s’avèrent postérieurs ou inédits.

Né en 1943, le créateur de Finis Terrae [lire notre chronique du 12 novembre 2012] grandit dans la ville industrielle de Coventry (Angleterre), au sein d’une famille modeste – le père est jardinier. Il étudie la trompette et joue dans différents orchestres de cuivres. À l’adolescence, lire Artaud le stimule. Vers quinze ans, l’écoute en boucle d’Octandre (Varèse), avant celle de Gruppen (Stockhausen), lui donne envie de composer, si bien qu’il rejoint la Birmingham School of Music, en 1961. Dans ce repère d’élèves aussi riches que superficiels, il s’isole et travaille son art dont les bases sont vite établies. En 1967, un jury refuse d’examiner Coloratura, à moins de réécrire pour clarinette la partie de hautbois. L’année suivante, l’étudiant se rend aux cours de Klaus Huber, à Bâle. Jamais il ne suivrait ceux de Darmstadt. Entre 1974 et 1977, « période de recherche la plus intense de [s]a vie », le Festival de Royan donne en création Cassandra’s dream song et Unity capsule, hommage d’un flûtiste à l’instrument qu’il connaît le mieux [lire notre critique du CD]. L’approche de la quarantaine le laisse désorienté, « dans un état d’esprit plutôt négatif vis-à-vis de beaucoup de choses dans [s]a musique ». Vient alors l’installation aux États-Unis, en 1987, au terme du cycle Carceri d’invenzione.

La fin des années soixante-dix remet en cause le sérialisme intégral et accueille la Nouvelle simplicité (Wolfgang Rihm). Pour sa part, Ferneyhough renvoie dos à dos ces deux extrêmes, devenant le chef de file involontaire d’une Nouvelle complexité (Richard Toop). « Je suis ce que je suis, affirme-t-il, en ayant passé à travers l’expérience d’écriture de l’œuvre ». Si ses propres textes sont irremplaçables pour percevoir ses convictions créatives, ils contiennent aussi des formulations « inutilement compliquées » qui n’en facilitent pas l’approche – de l’aveu même d’Albèra. De pages qui fustigent la « réapparition de formes scolaires » pour mieux interroger les outils du musiciens (notation, temps, figure, etc.) et se réfèrent volontiers aux intellectuels (Adorno, Deleuze, Foucault, Guattari), isolons pourtant les six conférences de Salzbourg (1995). C’est grâce à ses dernières, où s’impose une pédagogie illustrée d’extraits sonores, et aux divers entretiens qui leur succèdent que se dessine un homme à la gestation lente, attiré par l’énergie, stimulé par la contrainte. Celui-ci défend l’équilibre entre intellect et émotion, révélation et dissimulation, écriture et interprétation.

Motif de nombreux voyages et déménagements, la transmission tient une place importante dans la vie de qui se définit comme un autodidacte heureux de son sort. « Pour moi, confie-t-il, enseigner consiste surtout à montrer à l’étudiant comment articuler de façon cohérente son désir de création ». C’est encourager et protéger des apprentis qui compensent l’inexpérience par la capacité d’oser, que Ferneyhough invite à renoncer au plan de carrière précoce, à l’exercice d’imitation, voire à l’envahissement de la musique – lui-même a toujours eu des centres d’intérêts variés (poésie, alchimie, arts plastiques, etc.). Il rappelle enfin que l’autocritique fait partie intégrante de l’acte de composition, quand la remontrance d’un professeur demeure éphémère. Parmi tant d’autres de l’ouvrage, stimulantes, retenons cette idée à méditer : « chaque œuvre musicale doit nous suggérer l’impossibilité du monde antérieur ou de celui dans lequel nous vivons, afin de nous donner la possibilité d’imaginer des mondes nouveaux ».

LB