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Chroniques
Brigitte François-Sappey
La musique en France depuis 1870
« J’appartiens à une nation qui, aujourd’hui, ne s’intéresse plus à aucune des nobles manifestations de l’intelligence » écrit dans ses Mémoires, quinze ans avant de disparaître, Hector Berlioz (1803-1869). Peut-être partagée par les créateurs qui lui survivent, cette amertume n’empêche pas la vie musicale de s’épanouir dans une France qui vient de s’incliner devant la Prusse à Sedan. La germanophobie ambiante stimule les esprits trop longtemps fascinés par les charmes wagnériens (une « ratatouille boche », selon Claudel), à l’exemple d’un Debussy qui constate : « Les Français oublient trop souvent les qualités de clarté et d’élégance qui leur sont propres, pour se laisser influencer par les longueurs et les lourdeurs germaniques ». Avec Fauré et Ravel, l’auteur d’Ariettes oubliées va former la sainte Trinité de l’esprit français, lequel renoue avec Josquin, Couperin et Rameau. Certes, l’on ne brandit pas l’étendard nationaliste des Polonaises, Rhapsodies hongroises et Finlandia (et leur désir légitime d’autonomie), mais plutôt celui des régions, sur les traces de Gounod, Canteloube et Séverac. Sublimé par les Expositions Universelles de 1878, 1889 et 1900, un Paris impressionniste puis Art nouveau attire comme jamais les créateurs étrangers (Albéniz, Casella, Delius, Enescu, Falla, Glazounov, Granados, Martinů, Mihalovici, Mompou, Nin, Stravinsky, Tansman, Tcherepnine, Turina, sans compter tous les élèves américains de Nadia Boulanger !) qui cherchent aussi une échappatoire à la culture allemande.
À mesure que la modernité (Ballets Russes, concerts bruitistes) rencontre un public plus large, et délicieusement choqué, hors des salons des mécènes féminins – « les premiers ministres de la Culture », à qui l’on doit tant de chefs-d’œuvre –, toute une variété de confréries, théâtres, formations et périodiques voit le jour : Société Nationale de Musique (1871) sous l’égide de Saint-Saëns, Concert national (1873) instauré par Colonne, Société des Nouveaux Concerts (1881) fondée par Lamoureux, Théâtre des Champs-Élysées (1913), La Revue musicale (1920) conduite par Prunières, La Sérénade, Triton (1932), Orchestre national, Triptyque, (1934), Fédération musicale populaire (1936) sous la présidence de Roussel puis de Koechlin, Orchestre radio-symphonique (1937), etc. Sans parler de l’opéra qui découvre la prose et l’acte unique, poèmes et suites symphoniques se développent, de même que la symphonie boudée par le romantisme (Gouvy, Onslow, etc.), d’innombrables musiques de scènes et autres ballets plus ou moins réussis.
Les années trente sont des années inquiètes qui voient les avant-gardes (dadaïsme, sérialisme) en lutte avec les néoclassiques, une musique de divertissement évincer les postromantisme et impressionnisme bordant le Rhin – en parallèle d’une musique religieuse en regain (la Trinité Honegger-Milhaud-Poulenc, cette fois) ou simplement humaniste (Roussel). Avec la Seconde Guerre mondiale, la France va perdre sa suprématie artistique ainsi que bon nombre de musiciens (Alain, Jaubert, etc.). C’est peu dire que les transistors diffusent à présent de la musique légère contre laquelle celle dite savante peine à maintenir son hégémonie !
Familière d’Alkan, Boëly, Mendelssohn et des Schumann, la musicologue Brigitte François-Sappey n’est pas forcément à l’aise avec cette musique née après elle (1944), qu’elle place sous la tutelle d’une dernière Trinité (Messiaen-Dutilleux-Boulez) et qui occupe moins de pages que les deux chapitres consacrés à Debussy et Ravel. Au moins aurait-elle pu citer Fénelon, Giraud, Lenot et Mantovani dans son paragraphe évoquant nos dernières créations lyriques… En revanche, l’éloignement temporel ayant facilité la synthèse, on ne peut que la féliciter pour le reste de l’ouvrage qui, comme pour le dernier Lischke en date [lire notre critique de l’ouvrage], mène de front résumé chronologique et évocation de genres musicaux – avec un côté catalogue parfois lassant quoique fort enrichissant pour l’esprit. Nombreuses, les citations de compositeurs vivifient l’ensemble et donnent envie de réécouter les moins connus, à la lumière de leur époque.
LB