Chroniques

par laurent bergnach

Brigitte Gauthier
Le langage chorégraphique de Pina Bausch

L'Arche (2008) 320 pages
ISBN 978-2-85181-689-4
Le langage chorégraphique de Pina Bausch, par Brigitte Gauthier

En s'attaquant à la cohérence d'une narration traditionnelle, Pina Bausch (1940-2009) a révolutionné le langage chorégraphique. Héritière d'expériences menées depuis les années vingt (par des pionniers tels von Laban, Wigman, Jooss, etc.), sa danse se nourrit de formes empruntées au théâtre – soit à l'inverse de la comédie musicale – comme la hiérarchisation des rôles ou la verbalisation sporadique (mots-mouvements plutôt que mots-sens) ; elle cherche à déstabiliser, à susciter la réflexion. Désormais, le chorégraphe n'est plus un simple serviteur de la musique, mais devient anthropologue en quête des rituels de notre société. Ce travail d'observation se retrouve dans les gestes empruntés à la vie quotidienne (danse des cheveux) plutôt qu'aux souvenirs d'apprentissage, et dans la remise en cause des idées reçues.

Sur sa méthode de travail, opposant comme Brecht instinct et raison, la créatrice de Wuppertal confie : « J'essaie de sentir ce que je sens. Il s'agit effectivement d'un savoir tout à fait exact que je ne peux cependant pas exprimer par des mots. J'essaie de le cerner. Je pose des questions. Ici, au sein du groupe. Et parfois, je saisis des éléments qui ont à voir avec ce que je cherche. Lorsque c'est le cas, je le sais. Et j'essaie de saisir la vie par ce petit bout ».

Rien n'est plus difficile que de décrire des gestes, des pas ou des sons. Découpé en une quinzaine de chapitres passionnants mêlant biographie et analyse, le livre de Brigitte Gauthier arrive à cerner ce qui nous touche dans la poésie mouvante de Pina Bausch, pétrie d'images fortes : les conflits entre individus (souvent de sexe opposé) dans une humanité sans réelle noirceur (même grinçant, le rire est bienvenu), en se référant à une sensibilité collective (frontières entre tendresse et violence, intimité et imaginaire, etc.). Et conclut : « Chacun y déchiffre une histoire qui lui est propre ».

LB