Chroniques

par bertrand bolognesi

Bruno Ducol
musique de chambre

1 CD Klarthe (2020)
K092
à la découverte d'opus récents de Bruno Ducol (né en 1949)...

Élève de Claude Ballif, André Boucourechliev, Olivier Messiaen et Pierre Schaeffer, Bruno Ducol (né en 1949) affirme un style bien à lui, affranchi de ses maîtres et libre des esthétiques tranchées du second XXe siècle. Si sa production demeure fort discrète, cet enseignant (en poste au CNSMDP jusqu’en 2014), fin connaisseur de l’Antiquité et des civilisations anciennes, passionné de voix et de théâtre, a toujours écrit, qu’il s’adresse aux effectifs chambristes, à l’orchestre, au solo ou à la scène. De fait, nombre de ses pièces instrumentales interrogent, si ce n’est toujours la représentation, du moins le rituel – ainsi de son opus 32, monodrame pour trois flûtes basses et sons fixés intitulé Nu couché, ciel de feu, ou d’Alpaya Op.32bis pour quatuor de percussions et sons fixés –, ce dont témoignent encore bien des pages vocales – les cinq madrigaux Für die Jugend Op.30bis, par exemple, ou encore Li Po Op.22 pour soprano et haute-contre, chœur d’enfants, deux pianos et percussion, Estampes du désir Op.31 pour chœur et cithare romaine, etc. Lorsqu’elles n’évoquent pas le voyage d’Ulysse ou quelque passage des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar (Le navire aux voiles mauves, Wang Fô ou La couleur des songes), ses œuvres de théâtre chatouillent les volcans (Atitlan), quand ne s’y mêlent pas les illustres d’autrefois, en une ronde hors-temps (Praxitèle).

Le CD monographique paru sous label Klarthe réunit trois compositions récentes autour d’une cantate pour soprano et quatuor à cordes. Adonaïs ou L’air et les songes (2016) prend appui sur l’élégie par laquelle le romantique Percy Bysshe Shelley déplorait, en 1821, la disparition du poète John Keats que la phtisie emportait à vingt-cinq ans. « I weep for Adonaïs – he is dead!... » commence, seule, la voix, celle de Laura Holm, artiste franco-étasunienne formée au CNSMD de Paris déjà saluée dans nos colonnes [lire nos chroniques de L’heure espagnole et de Der Zwerg]. Les membres du Quatuor Béla (Julien Dieudegard et Frédéric Aurier, violons ; Julian Boutin, alto ; Luc Dedreuil, violoncelle) la rejoignent bientôt dans ce Lamento à la fois râpeux et aéré dont le recitar’ cantando montéverdien rappelle autant Britten qu’Aperghis. Une ultime section ohne Stimme suspend le mouvement dans une âpreté dolente. Lost Echo saisit l’écoute par ses mélismes a capella sur la moitié de sa durée, prière volubile, description inquiète à peine saupoudrée de discrètes interventions instrumentales. Après un bref Intermezzo énigmatique des cordes, retour de la voix, en révolte dans Calls – « He is not dead » –, laissant poindre un déni empli de cruel espoir. Dans une écriture vocale exigeante, volontiers vertigineuse, on admire l’extrême agilité de Laura Holm, de même que la fiabilité d’une émission des plus précises et d’évidentes ressources expressives. Les échos parlés des musiciens, respirés dira-t-on (« ‘tis Adonaïs calls », ponctuent l’articulation quartettiste drue. Enigmatico, enfin, s’impose telle une élévation néobaroque dans cet exercice de deuil.

« …un geste vers Lou, vers la femme, un appel vers l’autre et ses lointains paysages » : ainsi Ducol (notice du CD) définit-il lui-même son solo vocal d’après Les fenêtres de Guillaume Apollinaire (Calligrammes), Tout le jaune se meurt Op.48bis (2014). Le dire et ses atours ornementaux souvent réitérés revêtent une ineffable impulsion incantatoire. La flûte de Julie Brunet-Jailly appelle en douceur un trio à cordes pour chanter ensemble une Hymne au soleil (2015) imaginée dans l’esprit des Grecs observateurs des couleurs sans cesse renouvelées du rayonnement lumineux. Là encore (comme dans les autres opus ici présents), est convoquée la voix des musiciens, parlée ou scandée. Si le titre se réfère à Mésomède de Crête tout en se souvenant des vers de Sappho, c’est vers la poétesse Corinna de Tanagra que se tourne A Corinna Op.18 n°2 (2016), quatuor contemporain d’Adonaïs. L’inventivité rythmique de ses douze minutes (environ) traverse une inspiration oscillant entre envolées toniques et moires raffinées. L’excellence des Béla [lire nos chroniques du 14 juillet 2012, du 8 juillet 2013, des 18 janvier, 5 mars et 10 juillet 2014, du 15 janvier 2016 et du 4 février 2017] sert idéalement la musique de Bruno Ducol qui demeure relativement rare [lire notre chronique des Études de rythme].

BB