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Chroniques
Bruno Giner
De Weimar à Térézine – L'épuration musicale 1933-1945
À la fin de la Première Guerre mondiale, la République de Weimar succède à l'Empire autocratique de Guillaume II, offrant à une Allemagne rurale et archaïque un renouveau économique, social autant que culturel. Haïe par les partis conservateurs (un putsch militaire en mars 1920) et contestée par une partie de l'extrême gauche, cette République, dotée d'une nouvelle constitution, garantit pourtant la liberté d'opinion politique et religieuse, abolit la censure, accorde le droit de vote aux femmes et aux soldats, renforce les syndicats, etc. Malheureusement, la dette de guerre, la perte de pôles industriels importants contribuent à accroître le chômage et, avec lui, la misère des classes moyennes. Les gouvernements se succèdent, les attentats se multiplient. Malgré toutes ces difficultés, la stabilité et la prospérité s'installent, de 1924 à 1929. Jusqu'au krach boursier de Wall Street. Moins d'un an plus tard, le parti National-socialiste passe de 14 à 107 députés élus au Reichtag.
Après une introduction claire et détaillée de ces quelques années d'espoir, le compositeur Bruno Giner – déjà auteur, notamment, de Musique contemporaine : le second XXe siècle ou Rencontres avec Ivo Malec – retrace les actions décisives du nouveau Chancelier du Reich. Dès son élection, le 30 janvier 1933, Adolf Hitler applique méthodiquement le programme en partie contenu dans Mein Kampf (manifeste achevé en 1924). Dans les premiers mois, accompagnant la suppression de tous les partis politiques et la création de camps de concentration, le respect de la tradition germanique exige une épuration culturelle. En avril, on ferme le Bauhaus ; en mai, on brûle plus de 20000 ouvrages.
L'essayiste nous plonge ensuite dans la vie artistique berlinoise, où l'on croise les membres du Groupe Novembre (Vladimir Vogel, Ernst Toch), du mouvement Dada (Stephan Wolpe, Erwin Schulhoff, etc.) et de la Nouvelle Objectivité (Hanns Eisler, Paul Hindemith, Ernst Krenek, etc.), les défenseurs de la classe ouvrière (Heinz Tiessen, Hermann Scherchen, etc.), du dodécaphonisme ou de la microtonalité. Il rappelle les pressions qu'ont subies les créateurs dégénérés, le destin de chacun d'eux face à l'exil ou à l'internement, sans omettre le goût de hauts dignitaires nazis pour le jazz et l'allégeance de plus d'un artiste qui – de façon moins passive que Wagner ! – participait fièrement à la grandeur d'une dictature nourrie de sang. De quelque époque qu'elle soit, une démocratie n'est jamais à l'abri du pire.
LB