Chroniques

par michel slama

Camille Saint-Saëns
Les barbares

1 livre-disque Ediciones Singulares (2014)
ES 1017
Laurent Campellone joue Les barbares (1901), opéra de Saint-Saëns

Le Palazzetto Bru Zane s’est fait un devoir de ressusciter les partitions oubliées du grand XIXe siècle (1780-1920). Il propose aujourd’hui Les barbares de Camille Saint-Saëns, livre-disque qui témoigne d’une renaissance à l’Opéra Théâtre de Saint-Étienne, du 14 au 27 février 2014. Comme à l’accoutumée, l’objet est particulièrement luxueux et extrêmement documenté, avec une riche iconographie. Chaque exemplaire est numéroté et l’édition est limitée à 3000 exemplaires.

À l’écoute des deux CD qui le composent, on se demande encore s’il est indispensable de redécouvrir tous les opéras négligés par la postérité, y compris de compositeurs illustres. Comme le disait notre confrère Gérard Corneloup à propos de la présentation de cette œuvre en version de concert : « cette fois, rien du genre ”chef-d’œuvre injustement oublié” dans cet ouvrage de seconde main, à la plume fatiguée et vraiment peu inspirée du compositeur de Samson et Dalila » [lire notre chronique du 16 février 2014].

On reste en effet perplexe devant la grandiloquence et l’académisme pompeux de la musique de Saint-Saëns. Au fil des scènes, Les barbares hésite entre oratorio et opéra. L’interminable prologue, censé résumer ce qu’on n’entendra pas, et ses longs ballets constituent un tunnel orchestral capable de décourager les meilleures volontés, surtout sans une mise en scène hollywoodienne… Ainsi privé de l’image, ce péplum bavard agace et lasse au lieu de captiver.

Il fut commandé en 1900 pour célébrer la réouverture du Théâtre antique d’Orange dont la longue restauration avait couvert le siècle précédent. Les différents avatars que connurent la genèse de l’œuvre n’ont en rien aidé un projet d’emblée mal ficelé. Entre le mauvais caractère du compositeur bougon, âgé de soixante-cinq ans, celui d’un Victorien Sardou, auteur tout aussi caractériel du livret, et les restrictions budgétaires, les contraintes de tout ordre s’accumulèrent. Ainsi la création des Barbares fut-elle repoussée à l’automne 1901, à l’Opéra de Paris, en lieu et place de la ville d’Orange pour laquelle elle était destinée et qui est le lieu de l’action de cette tragédie gallo-romaine.

Depuis la défaite française de Sedan contre la Prusse en 1870, l’antagonisme franco-allemand s’était intensifié et les nationalismes exacerbés. Sur fond d’idylle entre les amants ennemis Floria et Marcomir, Sardou attise la confrontation entre deux mondes opposés, celui des civilisés gallo-romains contre celui des barbares germains, confrontation criante d’actualité pour les intellectuels français.

L’héroïne – qui n’a rien à voir avec une autre Floria du même Sardou – est déchirée par son amour, comme sa sœur Livie est obsédée par la mort. Cette dernière en poignardera l’amant de sa sœur pour venger la mort de son époux Euryale tué par les Barbares au début de l’opéra. Pour tout arranger, Floria est vestale, comme ses devancières Norma et Julia, et de même tombe fatalement amoureuse du chef de l’armée adverse. Péché religieux à trahison se conjuguent.

La distribution n’est pas irréprochable, même si les amants maudits sont excellents. La Floria de Catherine Hunold a tout pour elle : voix suave envoûtante et français impeccable. Élève de Mady Mesplé, Margaret Price et Christa Ludwig, la Française s’est spécialisée dans la résurrection d’opéras français des XIXe et XXe siècles [lire notre chronique du 4 avril 2014]. En Marcomir, le ténor lituanien Edgaras Montvidas est très crédible, avec un chant et une élocution fort contrôlés. On n’en dira pas autant de la Russe Julia Gertseva en Livie, au vibrato peu supportable et à l’improbable français, tout comme Shawn Mathey, ténor mozartien égaré dans cette aventure. Jean Teitgen excelle en Scaurus et fait passer le long prologue dont il est le récitant. Son autorité et sa diction sont sans reproches, ainsi que le vétéran Philippe Rouillon en Hildibrath. À la tête du Chœur Lyrique et de l’Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire, Laurent Campellone tente, non sans difficulté, d’insuffler une cohésion à cet ouvrage souvent plus instrumental que lyrique.

MS