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Chroniques
Camille Saint-Saëns
mélodies avec orchestre
Cinquième ouvrage lyrique de Camille Saint-Saëns (1835-1921), Henry VIII est créé à l’Opéra de Paris, le 5 mars 1883, avec le baryton Jean Lassalle dans le rôle-titre. Plus de trois décennies plus tard, Jacques Rouché en décide la reprise, à la grande joie du compositeur vieillissant. Pour l’occasion, il s’exprime publiquement sur le théâtre, la déclamation et surtout le chant : « je trouve que la voix étant le plus beau des instruments, ayant sur eux la supériorité qu’ont les êtres vivants sur les objets inanimés, c’est à elle, non à l’orchestre, que doit être confiée principalement la mélodie ; ce qui n’empêche pas l’orchestre de commenter le drame, de peindre l’action intérieure, d’exprimer l’inexprimable » (Le Figaro, 30 novembre 1917) – in Correspondance (1913-1921), Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 2016 [lire notre critique de l’ouvrage].
Responsable scientifique des éditions du Centre de musique romantique française (Venise), Sébastien Troester rappelle que l’auteur des Barbares [lire notre critique du CD] n'a pas à rougir d’apporter sa pierre à la mélodie avec orchestre, domaine où s’illustrèrent avant lui Hector Berlioz et Félicien David. Saint-Saëns choisit des vers d’Aguétant, Banville, Renaud, Tastu, etc. mais affectionne ceux d’Hugo, découverts dans l’adolescence, qui dominent les dix-neuf pages ici réunies – L’enlèvement (1848), Rêverie (1851), Le pas d’armes du Roi Jean (1852), L’attente, La cloche (1855) et Extase (1860). Plusieurs raisons justifient un attachement de longue date au genre, dont l’envie de voir reculer, au concert, la musique allemande et « des airs d’opéra qui y font souvent piteuse figure » (lettre à Marie Jaëll, 1876).
Sur les traces d’Ansermet, Celibidache et Stravinsky, Markus Poschner dirige l’Orchestra della Svizzera Italiana (OSI), formation excellente dans l’accompagnement des deux chanteurs invités, aux qualités complémentaires. Le premier est Yann Beuron, distingué par un Premier prix de chant voilà deux décennies, et apprécié depuis dans nombre d’ouvrages baroques ou romantiques français [lire nos chroniques du 19 avril et 1er juillet 2006 et notre critique du CD Uthal]. Son ténor délicat, voire caressant, est dévolu à des moments intérieurs (Angélus, Rêverie, etc.), mais peut se montrer plus fébrile, véhément (L’attente) et d’une joyeuse expressivité (L’enlèvement).
Le second est Tassis Christoyannis, de longue date au service d’un art hexagonal oublié (Lecocq, Grétry, Godard, etc.) [lire nos chroniques du 29 avril 2016 et du 13 juillet 2010, ainsi que notre critique du CD]. Si le baryton paraît d’abord en retrait – comme dans La brise, un des trois extraits des Mélodies persanes Op.26 (1870) qui lui sont réservés –, c’est pour mieux mettre en valeur un final paroxysmique. Plus tard, on le trouve vibrant d’angoisse, à l’unisson de strophes de la main même de Saint-Saëns, Les cloches de la mer (1900). Enfin, il s’avère volontiers théâtral, livrant un magnifique Le pas d’armes du Roi Jean et Danse macabre (1872), air bien connu inspiré par le mordant symbolisme d’Henri Cazalis.
LB