Chroniques

par laurent bergnach

Camille Saint-Saëns
Proserpine

1 livre-disque 2 CD Ediciones Singulares (2017)
ES 1027
Ulf Schirmer joue Proserpine (1887), un opéra signé Saint-Saëns

En 1872, le poète et dramaturge Auguste Vacquerie fait paraître Mes premières années de Paris, un recueil contenant Proserpine, une pièce de jeunesse écrite en vers (1838). Séduit par cette lecture, Camille Saint-Saëns (1835-1921) commence à en imaginer la mise en notes dès juillet 1880, mais le projet peine à démarrer. Il faut attendre début 1885 pour que le directeur Léon Carvalho manifeste son intérêt, et un an supplémentaire pour que Louis Gallet, déjà librettiste de La princesse jaune (1872) et Étienne Marcel (1877), adapte l’original avec des inventions notables, tels l’épisode au couvent et un final moins sanguinolent. Pour sa part, le musicien écrit sa musique entre mi-juillet et fin septembre 1886, achevant de l’orchestrer en janvier 1887.

Avec ses quatre actes aux caractères distincts, l’ouvrage est présenté à l’Opéra Comique le 14 mars 1887. Les critiques fusent, d’aucuns reprochant une soumission au modèle wagnérien (abus de leitmotive), d’autres la domination de l’auteur dramatique par le « symphoniste ». Le 25 mai, l’incendie de la Salle Favart met un terme aux polémiques. Remanié, Proserpine retrouve le public en 1889, mais sans rencontrer le succès, une fois encore. L’ostracisme dont son œuvre est l’objet reste étrange pour Saint-Saëns qui écrit à Jacques Durand, en 1910 : « il y a là-dedans de la passion, de la grâce, du pittoresque ; et le second acte est un enchantement. C’est de plus un ouvrage littéraire dont le texte n’a rien de commun avec les “paroles” des opéras ordinaires ni avec le charabia des traductions… ».

Proserpine brûle d’un amour secret pour Sabatino, dans l’Italie du XVIe siècle. Pour se prémunir de la souffrance de l’abandon, la courtisane a toujours refusé de lui céder un corps qu’elle offre sans compter au premier venu (« une chose lui plaît, c’est de dire au marquis : “J’aime autant ton valet” »). De son côté, Sabatino aime Angiola, sœur encouventée de son ami Renzo. Celui-ci n’est pas opposé au mariage, mais veut une preuve que Proserpine est bien sortie des pensées de son futur beau-frère. Cette mise à l’épreuve précipite le drame : humiliée par une ultime conversation avec le jeune homme, Proserpine cherche à se débarrasser de sa rivale, passant de la ruse d’une mascarade bohémienne à une tentative d’assassinat. Mais l’amour pur finit par triompher.

Comme pour le récent Uthal [lire notre critique du CD], le Palazzetto Bru Zane réunit une distribution émérite, en particulier chez les soprani : évidence et charisme sont les atouts de Véronique Gens (rôle-titre), tandis que le timbre corsé de Marie-Adeline Henry (Angiola) tord le cou à l’oie blanche attendue. Ténor, baryton et basse se partagent les autres rôles importants, à savoir Frédéric Antoun (Sabatino), d’une rondeur vaillante qui dérape quelquefois, Andrew Foster-Williams (Squarocca), sonore et ample, ainsi que Jean Teitgen (Renzo) au chant sûr et nuancé. Clémence Tilquin (Une religieuse), Mathias Vidal (Orlando), Philippe-Nicolas Martin (Ercole) et Artavazd Sargsyan (Filippo / Gil) complètent efficacement la distribution.

Entendu dans Cinq-Mars (Gounod) [lire notre chronique du 29 janvier 2015], Ulf Schirmer est à la tête des Vlaams Radio Koor, préparé par Edward Caswell, et Münchner Rundfunkorchester pour cet enregistrement munichois d’octobre 2016. Le chef allemand y soigne sans déborder les climats successifs d’une œuvre qui mériterait de retrouver la scène : grandiloquence du prélude, festoiement Cinquecento, entrain tsigane, etc.

LB