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Chroniques
Caravaggio
Tempus Fugit
Actif depuis 2004, Caravaggio est un groupe au sens où on l’entend dans la culture pop-rock, c’est-à-dire un ensemble de musiciens qui n’est pas au service d’un compositeur mais partage des idées pour produire ses propres morceaux originaux – en l’occurrence dans le domaine des musiques hybrides. Ses quatre membres sont d’ailleurs souvent présentés par binôme : d’un côté Bruno Chevillon (basse, contrebasse, électronique) et Éric Échampard (batterie, percussions, batterie électronique), avec leur expérience du jazz et des musiques improvisées ; de l’autre Benjamin de la Fuente (violon, guitare électrique ténor, électronique) et Samuel Sighicelli (sampleur, orgue Hammond, synthétiseurs Korg, Minimoog et Dave Smith,), figures associées à la musique expérimentale.
Après un premier album éponyme (2004), #2 (2012) et Turn up (2017), voici la quatrième gravure du quatuor qui amorce un virage esthétique. Ce dernier prit forme durant dix -huit mois en résidences (Studio éole, Abbaye de Royaumont, La Muse en circuit, etc.), avec des compositions fondées sur des improvisations enregistrées, retravaillées puis présentées au public, quand bien même à l’état d’ébauche. « Sur le plan musical, précise le groupe, ce nouvel opus flirte avec des sonorités plus électro-pop que les opus précédents. L’improvisation est moins présente, l’écriture plus épurée. L’axe de travail s’est porté sur un dépouillement des matériaux, une grande clarté d’écriture et une diversification des combinaisons entre les instruments ».
Sensible à nourrir la dramaturgie et l’imaginaire de chaque auditeur, Caravaggio a fait du cinéma un compagnon de route. Ce disque est une suite logique à la bande originale réalisée pour le film des frères Larrieu, L’Amour est un crime parfait (2013), puis à quelques projets malheureusement inaboutis (Amalric, Maïwenn, Sorrentino). Intitulé Tempus Fugit – formule latine rappelant le passage du temps, inéluctable –, il célèbre un art inventeur d’espaces et de collisions qui passionne les quatre musiciens, empruntant jusqu’à son vocabulaire (les titres Travelling, et surtout 70 MM, en référence au format de prestige désormais centenaire) et ses dialogues (échantillons).
Contacté le 13 juillet 2021, Benjamin de la Fuente nous éclaire sur les noms donnés à des pépites issues d’une « alchimie collective ». Sans surprise, Jessica Hyde fait référence à l’héroïne de la série Utopia (2013-2014) qui impressionna le groupe également par sa musique, signée Cristobal Tapia de Veer. Les autres titres mettent en relief la notion de chemins, de traverses qui sous-tend le projet. Reprenant celui de la chanson popularisée par le crooner en 1969, My Way est un clin d’œil à Frank Sinatra ; on l’entend ici, un peu perdu lors d’une séance d’enregistrement, demander qu’on l’oriente sur ce qu’il est censé faire. Windings Roads sonnant mieux que Chemins sinueux, c’est l’anglais qui fut retenu pour nommer un morceau d’une grande complexité formelle – tout en se souvenant, après coup, de The Long and Winding Road (1970), écrit pour The Beatles par Paul McCartney. Enfin, Vers la flamme évoque la « brûlure grandissante » des premières improvisations du guitariste Serge Teyssot-Gay, invité sur un morceau au grand souffle romantique.
LB