Chroniques

par laurent bergnach

Carl Maria von Weber
Euryanthe

1 coffret 2 CD Dynamic (2003)
408/1-2
Carl Maria von Weber | Euryanthe

En France, au XIIe siècle, le comte Adolar de Nevers célèbre la beauté et la fidélité de sa bien-aimée, Euryanthe de Savoie. Lysiart de Forêt, qui doit ramener la jeune femme de ses terres à la cour du roi Louis VII, prétend pouvoir obtenir d'elle des faveurs dont il apportera une preuve. De son côté également, Euryanthe chante son bonheur amoureux. Mais elle se montre imprudente en révélant un secret à Églantine de Puiset, une dame de compagnie : la sœur d'Adolar s'est empoisonnée après la mort de son amant ; elle erre désormais sans repos jusqu'à ce que des larmes innocentes tombent sur l'anneau qui a contenu le poison. Éprise elle aussi d'Adolar, Églantine va utiliser au mieux cette confidence pour perdre sa rivale. Elle s'allie à Lysiart en lui remettant la bague – retirée du doigt de la morte – qui sera exhibée devant la cour comme gage d'amour. Euryanthe clame son innocence mais Adolar, abandonnant ses possessions à Lysiart, l'entraîne dans la forêt pour la tuer puis se donner la mort. Finalement, il décide de l'abandonner à la grâce de Dieu. Tout se précipite alors : le roi retrouve Euryanthe tout en faisant croire à sa mort, Églantine triomphante révèle le complot, Lysiart la tue avant d'être emprisonné, les amants se réconcilient et le spectre retrouve le repos, Euryanthe ayant pleuré sur cette bague qui faillit causer sa perte.

Euryanthe a été créé à Vienne le 25 octobre 1823. On peut considérer cette œuvre entièrement mise en musique comme un des premiers jalons de la tradition lyrique allemande. Jusqu'alors, c'est l'opéra italien qui domine et Weber supporte mal cette suprématie. Malheureusement, les tentatives des compositeurs de sa génération ont du mal à rencontrer les faveurs du public. En ce qui le concerne, Der Freischütz, présenté en 1821, restera son unique grand succès populaire. Reconnaissons aussi que le livret d'Hermina von Chezy comporte beaucoup de points faibles : un sujet qu'on juge artificiel, une intrigue pleine d'incohérences avec des concessions au goût de l'époque et sans vraies lignes de force...

Cet enregistrement public (de janvier 2002) a l'intérêt de nous réserver des surprises et de nous rappeler que si une voix évolue tout au long d'une carrière, deux heures de représentation influe sur elle tout autant. Ainsi, Andreas Scheibner (Lysiart) est une basse puissante au premier acte mais finit par s'essouffler. Au contraire, avec Elena Prokina (Euryanthe), on oublie les aigus un peu vibrés du début pour goûter une voix opulente, généreuse et colorée. Même chose pour Yikun Chung (Adolar) : à un placement de voix hésitant, à des aigus métalliques va succéder un chant qui gagne en force et en beauté. Du coup, le duo d'abandon, au début du troisième acte, est remarquablement équilibré. Jolana Fogasova (Églantine) se lance dans des vocalises superbes – son solo rageur dans le dos de sa rivale –, mais c'est Luca Salsi (le roi) qui possède le chant le plus égal sur la longueur. Il était judicieux de proposer une nouvelle version de cet opéra – dont on connaît surtout l'ouverture, souvent jouée en concert.

Gérard Korsten dirige l'Orchestre du Théâtre Lyrique de Cagliari. Les cuivres posent parfois des problèmes mais sans mesure avec ceux que rencontre le chœur. Parfois faux (les ténors...), parfois mou, il semble par moments sourd, lointain, sans doute à cause d'une prise de son trop sommaire. Le chant final des paysannes efface un peu la mauvaise impression laissée par les chevaliers du début. La musique de Weber, imprégnée de romantisme, est un pont entre Gluck et Wagner (le chœur des chasseurs ou le triomphe d'Églantine qui nous renvoie à l'acte d'Ortrud, dans Lohengrin). Elle sait le plus souvent être douce et dépouillée : le solo de l'héroïne abandonnée, qui commence a cappella, est un modèle de tension dramatique exploitée sans pathos.

LB