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Chroniques
Carl Maria von Weber
Der Freischütz | Le franc-tireur
Dans l’introduction de sa nouvelle Mouny-Robin (1841), George Sand croque un bourgeois de Paris qui, au deuxième acte du Freischütz, déclare d’un air profond : « Faut-il que ces Allemands soient simples pour croire à de pareilles sornettes ! ». Heureusement pour Carl Maria von Weber (1786-1826), la majorité des compatriotes de Perrault sut mieux accueillir son opéra romantique en trois actes, rejeton du Faust (1813) de Ludwig Spohr. Et les Français ne furent pas les seuls, encore moins les premiers à s’enthousiasmer – eux qui, plus tard, bouderont pourtant La nonne sanglante (1854) [lire notre critique du DVD].
Comme le rappelle Corinne Schneider dans Le surnaturel sur la scène lyrique (Symétrie, 2012) [lire notre critique de l’ouvrage], l’œuvre créée le 18 juin 1821, au Königliches Schauspielhaus de Berlin, gagne d’abord l’affiche de vingt-cinq villes de la Confédération germanique jusque fin 1822, « brandie à la fois par le peuple et la critique comme le premier opéra romantique allemand ». Dresde, Prague et Vienne accueillent ensuite une partition que Weber y dirige lui-même, puis Budapest, Amsterdam, Riga, Berne, et Saint-Pétersbourg.
Si la langue originale du livret de Johann Friedrich Kind (1768-1843) est respectée dans ces dernières, Paris préfère le traduire dans l’idiome national, se pliant aux conventions habituelles. Pire encore, c’est dans un pastiche signé Castil-Blaze (1784-1857) et Thomas Sauvage (1794-1877), présenté sous le titre farfelu de Robin des bois ou Les trois balles, qu’un chef-d’œuvre dénaturé gagne la scène du Théâtre royal de l’Odéon, à partir de décembre 1824. La critique s’offusque de l’outrance des arrangeurs tandis que le public, au fil de trois cent vingt-sept représentations, s’attache au trio amoureux formé par Tony, Annette et Richard, dans l’Angleterre de Charles Ier... Il faut attendre 1841 – date de la nouvelle de Sand – pour qu’Hector Berlioz, associé à Émilien Pacini (1811-1898), propose une version plus fidèle au compositeur et à son « arôme sauvage » (Mémoires, Symétrie, 2010) [lire notre critique de l’ouvrage].
S’il s’est affranchi d’une tradition apparue en Italie, Der Freischütz n’y est pas boudé pour autant, comme le prouve cette production de la Scala de Milan, filmée en octobre 2017. Matthias Hartmann [lire nos chroniques de Fidelio et de Boris Godounov] esquisse le quotidien des villageois à l’aide de néons fragiles (arêtes des maisons, cimes des montagnes), accentuant ainsi la présence sombre des roches de la Gorge aux loups. Le contraste fonctionne également pour les forces du Bien et du Mal : à un folklore codifié et quasi parodique (tissu fleuri féminin, tissu quadrillé masculin) s’oppose un carnaval de corps masqués, débraillés, lubriques – dont s’affranchi la blanche Agathe. Raimund Orfeo Voigt signe les décors, Susanne Bisovsky et Josef Gerger les costumes. Malheureusement la caméra, en négligeant le plan large pour attirer l’œil vers ce qui devait rester invisible, dessert souvent l’ensemble.
Fallait-il distribuer Michael König dans le rôle de Max ? Certes, le ténor est incisif, mais pas assez léger ni clair pour incarner un jeune homme, et parfois même heurté [lire nos chroniques de Journal d’un disparu, Tannhäuser, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny, Der fliegende Holländer, Fidelio et Ariadne auf Naxos]. L’ample Günther Groissböck (Kaspar) a facilement notre préférence, sans faire de l’ombre, cependant, à Frank van Hove (Kuno) et Stephen Milling (Ermite), autre basse charismatique [lire nos chroniques de Tristan und Isolde à Baden Baden et à Montpellier, Siegfried, Der fliegende Holländer, Fidelio et Tannhäuser]. Rien à reprocher non plus aux baritons Michael Kraus (Ottokar) et Till von Orlowsky (Kilian). Chez leurs consœurs, les soprani Julia Kleiter (Agathe) et Eva Liebau (Ännchen) séduisent également : la première offre un chant vif, impacté et nuancé [lire nos chroniques de Fidelio à Baden Baden et à Paris, Arabella, Die Zauberflöte et Fierrabras], tandis que la seconde livre avec souplesse des sons très projetés, d’une belle tenue.
À la tête d’un orchestre maison et de son chœur vaillant à souhait (préparé par Bruno Casoni), Myung-Whun Chung enchante dès l’Ouverture, avec une montée lente et délicate de la tension. Sans recourir à la ciselure, il brosse d’abord un paysage brumeux, idéalement fantastique, à l’aide d’un grand geste. Puis, dans une brûlante urgence, le chef se montre énergique, voire mordant, pour le lever (définitif) du rideau.
LB