Chroniques

par hervé könig

Carl Philipp Emanuel Bach
Magnificat Wq 215 – Heilig ist Gott Wq 217 – Symphonie Wq 183/1

1 CD Harmonia Mundi (2014)
HMC 902167
Carl Philipp Emanuel Bach | œuvres variées

Si 2013 célébrait les deux cents ans de la naissance de Richard Wagner et le centenaire Benjamin Britten, 2014 s’est attelé au souvenir de la Grande Guerre, auquel sont mêlés de nombreux compositeurs, de près ou de loin, ainsi qu’au tricentenaire d’un très grand musicien, trop aisément masqué par l’ombre paternelle, si indéniablement puissante : à Weimar naissait le 8 mars 1714 celui qu’on surnommerait bien plus tard « Le Bach d’Hambourg », c’est-à-dire Carl Philipp Emanuel, grand symphoniste, inventeur de nombreux concertos, instrumentiste, théoricien, musicologue et pédagogue de cour durant près de trois décennies, enfin successeur de Telemann comme cantor de la riche cité hanséatique. Les vingt dernières années de la vie de CPE Bach sont ponctuées de quelques œuvres sacrées, oratorios, cantates et messes, et par un concert prestigieux que, le 9 avril 1786, il dirigeait afin d’amener quelques fonds à un dispensaire médical destiné aux indigents.

En ce dimanche des Rameaux, Bach donnait un programme fastueux, à peine plus de deux ans avant de s’endormir pour toujours (14 décembre 1788). Après des extraits du Messiah HWV 56 de Händel (1741) et de la H-moll-Messe BWV 232 de papa (écrite entre 1724 et 1748), il jouait sa Sinfonie D-dur Wq 183/1 toute récente, son Magnificat Wq 215 déjà trentenaire, finissant sur son fameux motet à double chœur Heilig ist Gott Wq 217 avec lequel il entendait, dès 1776, demeurer dans la mémoire des mélomanes.

À la tête de l’Akademie für Alte Musik Berlin et du RIAS Kammerchor, Hans-Christoph Rademann ressuscite chez Harmonia Mundi toute la seconde partie du concert du printemps 1786, dont il inverse l’ordre, terminant ce disque par la symphonie. Dès le chœur d’ouverture du Magnificat, il impose une lecture infiniment pêchue de l’œuvre, soignant au cordeau la modulation centrale et le rendu rythmique en rebonds. Le premier air (soprano) élève sa méditation sur la couleur particulière de l’orgue ; il bénéficie de l’expressivité tendre d’Elizabeth Watts, entre rhétorique baroque et pureté mozartienne. Lothar Odinius brille ensuite d’un ténor impératif, dans un Quia fecit mihi magna très enlevé, malgré une vocalise un rien poussive, par moments. À l’appel des trompettes, ici presque percussives, répond le cuivre de Markus Eiche, plus baryton que basse (le grave reste laborieux) – Fecit potentiam in brachio suo. L’air Suscepit Israel puerum suum vient couronner les numéros solistes, le mezzo Wiebke Lehmkuhl nous plongeant dans le texte avec la douce chaleur de son timbre, après un duo onctueux, remarquablement séduisant (Deposuit potentes de sede, alto et ténor) dans l’enchevêtrement de ses rodomontades galantes. Rademann conduit des cordes tour à tour fières et dolentes au fil d’une exécution brillante, parfois plus dramatique, enfin follement dansante – swinguant Gloria ! Le personnage principal reste le chœur, bien sûr, et la lumineuse joie de la première plage, revisitée par le Gloria, toujours (n°8). La consolation en mode mineur d’Et misoricordia eius s’y fait à la fois douloureuse et confiante, insufflant à l’écoute une indéniable inspiration spirituelle.

Servie par le velours de Wieke Lehmkuhl, l’ariette initiale d’Heilig impose un style plus proche d’Haydn. Étonnant, le surgissement choral, dans une suspension déconcertante de la phrase qui imprime au procédé une habitation céleste qui fragmente le savant jeu de répons suivant, avant le fugue. Étonnant, plus encore, l’Allegro de la Symphonie en ré majeur Wq 183/1, d’une facture extrêmement personnelle. Délicatement nuancée, cette version est aussi formidablement tonique. En 1775, le petit Ludwig de Bonn n’a que cinq ans… et pourtant ! Les bois tendres du Largo ornent un classicisme gracieux jusqu’au bondissement du Presto conclusif. Judicieusement, la musique sacrée de ce disque est enregistrée dans une église, tandis que la symphonie est captée dans l’acoustique moins opulente du studio.

Voilà qui donne envie de connaître mieux Carl Philipp Emanuel !

HK