Chroniques

par bertrand bolognesi

Carl Philipp Emanuel Bach
Essai sur la vraie manière de jouer des instruments à clavier

Philharmonie de Paris (2022) 192 pages
ISBN 979-10-94642-64-1
Les éditions de la Philharmonie de Paris republient le fameux essai de Bach-fils

Voilà une vraie bonne initiative ! Proposer le fameux essai de Carl Philipp Emanuel Bach dans une nouvelle traduction (Dennis Collins) et au grand complet s’imposait, tant pour le mélomane soucieux d’élever son goût avec le plus de clarté possible que pour le musicien qui trouvera dans cet ouvrage, en grande partie dressé en méthode, de quoi parfaire son approche du répertoire claviériste du XVIIIe siècle. Trois ans après la mort de Johann Sebastian (1685-1750), son père, Carl Philipp Emanuel (1714-1788) publie la première partie de son Versuch über die wahre Art das Clavier zu spielen, suivie en 1762 d’un complément centré sur la basse continue. Ce livre serait bientôt utilisé par les maîtres pour former leurs élèves – parmi ces maîtres, Beethoven, qui fréquenta le Versuch en tant qu’apprenti, y aura grandement recours pour transmettre l’art aux plus jeunes.

Trois domaines du jeu sont abordés, à la fois par la description rigoureuse de ce qu’il convient de faire et de ne pas faire, et par une pensée, toujours amenée avec grande pertinence, qui magnifie le côté cuisine d’une telle entreprise. Ainsi, après la préface enthousiaste que signe le claveciniste Pierre Hantaï, abordons-nous l’exigence du doigté, stratégie bien connue des instrumentistes, qui permet de démultiplier les possibilités d’une main qui cependant ne compte que cinq doigts, de faciliter des chemins créant progressivement puissance logique, d’opérer des choix plus subtils encore quand il s’agira de gérer le poids de telle note, par exemple. Le second chapitre s’attelle aux agréments, que le vocabulaire d’aujourd’hui réunit sous le terme d’ornement. Tous sont dûment passés en revue, selon un inventaire truffé d’exemples musicaux dont on pourrait user comme d’exercices, et abondamment commentés par des conseils judicieux. Si Bach n’hésite pas à vanter la manière française, si précise dans la notation des agréments, encore sa plume n’hésite-t-elle pas à désigner les modèles à ne pas suivre, les abus à proscrire, etc. – on sourit à certaines saillies, volontiers mordantes à l’égard du mauvais musicien comme de l’amateur mauvais. Enfin, le dernier épisode est consacré à l’exécution plutôt qu’à la technique qui la sert, avançant des principes essentiels – « la bonne exécution est la faculté de faire percevoir à l’oreille sensible des pensées musicales selon leur contenu et leur sentiment véritables », par exemple, ou encore « il ne faut surtout manquer aucune occasion d’écouter de bons chanteurs : c’est ainsi qu’on apprend à penser de façon chantante, et il est toujours bon de commencer par se chanter à soi-même une phrase tout haut afin de trouver la bonne exécution », le primordial étant assurément qu’un « musicien ne pourra jamais émouvoir sans être lui-même ému » –, a contrario de tout ce qu’on peut croiser de malvenu ou de surfait – « les croque-notes : ils surprennent l’oreille sans lui faire plaisir et étourdissent l’esprit sans le satisfaire » dessine le sourire sous les lunettes du lecteur.

Si l’Essai sur la vraie manière de jouer des instruments à clavier demeure une méthode, encore le peut-on lire comme un témoin du temps, une sorte de programme qui donne le ton, pour ainsi dire, à toute une génération de compositeurs et d’interprètes. Avec cette parution d’octobre 2022, les Éditions Philharmonie de Paris comblent une lacune.

BB