Chroniques

par michel slama

Charles Gounod – Franz Liszt
œuvres sacrées

1 CD Naïve (2017)
V 5441
Retrouvons Laurence Equilbey dans des œuvres sacrées de Gounod et Liszt

L’ultime oratorio de Charles Gounod semblait à jamais perdu. C’est par hasard que le directeur du Festival d’Auvers-sur-Oise le retrouva dans les archives de la bibliothèque de la congrégation des Sœurs de la Charité de Saint Louis, à Pontoise, lors d’une discussion avec la Supérieure de l’institution. Ainsi fut récréé l’ouvrage oublié du compositeur parisien, après plus de cent ans de silence, le 20 juin 1996. Vingt ans plus tard, les 21 et 22 juin 2016, cet enregistrement, reflet du concert donné à la Philharmonie de Paris sous la direction de Laurence Equilbey, redonne vie à cette œuvre simple mais attachante, grâce à l'initiative du Palazzetto Bru Zane.

Conçue par Gounod comme « un diptyque musical à la façon des tableaux primitifs sur Saint François d’Assise », la première partie représente le Crucifié qui enlace Saint François dans le tableau de Murillo, et la seconde la mort du Saint entouré de ses disciples, telle que Giotto l’a peinte. Admirablement servi par deux des stars les plus prometteuses de la nouvelle génération de chanteurs français, l’oratorio séduit par son intimité, sa tendresse et le caractère français de sa prière franciscaine. On pense immédiatement au Cantique de Jean Racine de Gabriel Fauré, écrit une trentaine d’années plus tôt et dont Gounod semble se souvenir pour l’atmosphère générale de cet opus. Toutefois, les interventions de Saint François et du Crucifié ont un caractère franchement lyrique. L’écriture ne ménage pas le ténor qui incarne François, et il faut tout le talent de Stanislas de Barbeyrac pour ne pas sombrer dans le grandiloquent qui, ici, ne serait pas de mise. Avec sa diction impeccable, l’artiste français offre une vraie leçon de chant, avec l’air Agneau de Dieu aux redoutables aigus. La partition, qui commence par un cantique orchestral, est ensuite reprise à l’identique par le ténor avec une bravoure ineffable. L’intervention brève de Florian Sempey dans la partie du Crucifié est particulièrement retenue et religieuse. Elle contribue à restituer toute la grâce de cette musique un peu surannée mais qui parle directement au cœur. Le Chœur d’hommes Accentus est souverain, comme à l’accoutumée, et glorifie une seconde partie particulièrement majestueuse et émouvante qui s’achève sur une reprise du leitmotiv Agneau de Dieu par l’Orchestre de Chambre de Paris et Accentus au complet.

Hymne à Sainte Cécile, qu’il ne faut pas confondre avec la Messe solennelle en l’honneur de Sainte Cécile, date de 1865 et n’a pas été conçu pour la voix. Cette œuvre charmante est très courte (moins de cinq minutes). Elle connut de nombreuses orchestrations pour petits effectifs et divers instruments solos. Ici, Deborah Nemtanu enchante dans la version pour violon et orchestre. On pense irrésistiblement à la Méditation de Thaïs (Massenet), sans la part introspective de l’opéra. C’est une musique immédiatement accessible et peu fréquentée, au concert comme au disque, qui mérite d’être redécouverte. Dans ce répertoire, la soliste est idéale de virtuosité et de tendresse.

Avec Saint François d’Assise et Hymne à Sainte Cécile, Naïve nous offre deux enregistrements en première mondiale. La légende de Sainte Cécile de Ferenc Liszt vient rompre le charme de ce programme original et séduisant. Si le Hongrois a réalisé une transcription pour piano d’Hymne qu’il a joué à Gounod lui-même, force est de constater que La légende, si fameuse qu’elle soit, dénote un peu ici. Karine Deshayes insuffle pourtant une humanité et une recueillement qu’elle sait admirablement doser : la déploration du début, avec un effectif instrumental réduit, fait place, à partir de la dixième strophe, aux tutti de l’orchestre et du chœur au grand complet qui écrasent un peu le mezzo-soprano.

Pour un enregistrement au minutage indigent (39’17’’), Naïve aurait pu se montrer plus généreux et imaginatif. Il y a pourtant moisson de redécouvertes d’œuvres du compositeur de Faust à faire, les commémorations 2018 de l’année Gounod ayant été minces… En fait, le concert dont est issu cet enregistrement était constitué de deux parties : la première, dédiée à Liszt, débutait par le triptyque Du berceau jusqu’à la tombe suivi par La légende de Sainte Cécile, la seconde s’ouvrait sur Hymne et s’achevait avec Saint François. La durée du concert dépassant la limite technique d’un CD, le triptyque lisztien fut sacrifié. Les amateurs de Gounod ne bouderont pas pour autant le plaisir de découvrir deux pépites de sa production, qui le méritent [lire notre chronique du 16 mars 2018].

MS