Chroniques

par michel slama

Charles Gounod
Faust

1 coffret 3 CD Naxos Historical (2005)
8.111083-85
Charles Gounod | Faust

Dans sa collection Great Opera performance, Naxos propose aujourd'hui la reprise d'une des plus belles soirées que le vieux Met' de New York avait consacré à l'opéra français. Nous sommes le 23 décembre 1950 et, sous la direction vive et experte de Fausto Cleva, la distribution réunie est presque idéale : Jussi Björling, Cesare Siepi et Dorothy Kirsten, pour les principaux rôles.

Âgé de trente-neuf ans, le grand ténor suédois est alors au sommet de sa gloire. Écoutez la grâce et l'intelligence qu'il apporte à son interprétation de Faust : ni veulerie, ni excès d'héroïsme de mauvais aloi ; les aigus sont impeccables, les contre-ut royalement en place. Son français impeccable, sa voix chaude et séduisante, en font alors un must pour toutes les scènes internationales. Inoubliable dans Don Ottavio, Rodolfo, Faust et Roméo, sa grande maîtrise de la technique du chant, son goût toujours parfait et son élégance naturelle lui permettent d'aborder avec succès tous les répertoires, y compris l'opérette. Le lecteur se souviendra peut-être de ses superbes intégrales chez EMI, avec Victoria de Los Angeles, et de sa prestation du Pays de sourire, invité par Karajan pour le Gala de la Fledermaus du siècle…

Pour l'amateur désireux de mieux connaître l'art du ténor et son répertoire très varié, Naxos offre également un programme d’une quarantaine de minutes composé d’extraits de La Bohême – avec son épouse en Mimi –, du Roméo de Gounod, son indispensable furtiva lagrima de L'Elisir d'amore, In fernem Land de Lohengrin, de Cavalleria Rusticana et un florilège des plus belles mélodies de Sibelius, le tout enregistré entre 1949 et 1952, très proche de la date de notre Faust.

À ses côtés, la belle Dorothy Kirsten, star hollywoodienne de l'époque et incontournable interprète des rôles de sopranos lyriques et coloratures, est alors trentenaire et adore l'opéra français qu'elle étudia avec Charpentier pour sa prise de rôle de Louise. Marguerite, Cio-Cio-San, Minnie, Manon Lescaut et une inoubliable Blanche de la Force de Dialogues des Carmélites (Poulenc), illustrent une belle carrière. Elle chanta au Met' cent soixante-cinq opéras, interprétant dix-huit rôles, pendant vingt-sept saisons consécutives. Ici, elle compose une Marguerite délicieuse, toute en charme, fragilité, et sensualité ; son français est tout à fait honnête et les grandes scènes du jardin et de la prison sont parfaitement réussies, grâce à un aigu facile et melliflu et une captivante interprétation à la scène.

Rien à redire non plus sur l'immense basse italienne Cesare Siepi, l'un des plus célèbres interprètes de Don Giovanni dont le lecteur pourra retrouver la prestation dans un DVD récemment paru chez DGG dirigé par Wilhelm Furtwängler. Philippe II (Don Carlos) très remarqué pour l'ouverture de la même saison 1950, Siepi, alors âgé de vingt-sept ans, en est encore à ses débuts, à l'aube d'une exceptionnelle carrière internationale. Il alternerait ainsi, pendant près de vingt-cinq ans, la Scala et le Met’, à partir de 1951. Plus à l'aise dans les rôles de rois que dans ceux de simples mortels, il incarne tous les souverains, tsars ou empereurs du répertoire avec un succès qui ne se démentira pas. Ses positions violemment antifascistes le font quitter l'Italie pour la Suisse puis les États-Unis et le rapprochent du grand Toscanini qui partage avec lui le goût de la liberté. Son Méphisto est lui aussi superlatif : loin des habituels grosses voix slaves, le français de notre italien est clair, sans agressivité et sans grandiloquence. À peine, regrettera-t-on quelques ricanements exagérés, mais tellement attendus par le public de l'époque pour le fameux Vous qui faites l'endormie

Le reste de la distribution est d'un haut niveau, même si l'histoire ne les a pas retenus : l'excellent Franck Guerrara en Valentin, baryton américain oublié, mais à la prestance vocale et scénique affirmée, doté d'une diction française plus qu'honorable. Anne Bollinger en Siebel ne déçoit pas et elle aussi contribue à la réussite de cette grande soirée.

Quelques précisions finales pour l'amateur éclairé : le Faust représenté est celui de la version en quatre et non en cinq actes, habituelle à l'époque, avec un grand nombre de coupures. Ainsi manque-t-il la première scène complète de l'acte IV qui contient le très bel air de Marguerite, Il ne revient pas (Air de la chambre). En revanche, la quasi totalité du ballet (qui fait de ce Faust un grand opéra à la française) est présente. Par rapport à la version Plasson (EMI) ultra-complète – mais toujours amputée de fragments gardés jalousement par les héritiers de Gounod –, il manque environ quarante minutes de musique. La qualité sonore est médiocre et requiert un peu d'indulgence de la part de l'auditeur.

MS