Chroniques

par michel slama

Charles Gounod
Faust

2 DVD C Major (2015)
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Gianandrea Noseda joue Faust (1859), opéra de Charles Gounod

C Major propose en DVD et en Blu-ray un Faust particulièrement original et séduisant. Enregistrée au Teatro Regio de Turin les 7 et 9 juin 2015, la production de Stefano Poda a été acclamée par un public en délire. C’est bien le metteur en scène italien qui fait ici sensation, plus que le cast réuni pour l’occasion. Esthète et visionnaire, Poda conçoit et crée un spectacle dans sa globalité : surdoué de sa génération, il réalise à la fois la mise en scène, la chorégraphie, les décors et costumes et même l’éclairage, revendiquant une responsabilité totale [lire notre entretien]. Et comme pour sa Thaïs donnée in loco, c’est à chaque fois une réussite : la sophistication des costumes, conçus dans des étoffes rares, et la majesté du décor unique très épuré, avec cet anneau noir gigantesque qui oscille, menace inquiétante comme Damoclès, et s’adapte aux situations entre enfermement, protection, sacré et damnation. Dans la scène de l’église (Acte IV), Marguerite ne dit-elle pas : « je suis dans un cercle de fer » ?

Ainsi, une multitude de détails et de symboles provenant directement du livret envahissent l’imagination du spectateur médusé à laquelle Stefano Poda laisse libre cours. « Monter un opéra, c'est pour moi la possibilité de mettre sur pied un monde parallèle, purement spirituel, qui permet de s'évader des contingences matérielles du quotidien. Je refuse en conséquence toute tentative d'actualisation, ou tout message politique simpliste car l'opéra, c'est d'abord la négation du réel », déclarait récemment le metteur en scène.

Dans le Prologue, Faust apparaît torse et pieds nus au pied d’une montagne de livres en décomposition, déni du Docteur pour l’érudition d’une vie. L’anneau noir est incliné mystérieusement et des phrases issues de l’œuvre éponyme de Goethe sont inscrites sur un plateau blanc, tournette délimitée par une nuée de sabliers géants en action. Le ton est donné, il n’y a plus qu’à se laisser envoûter par le projet du factotum italien. Mouvement et position de l’anneau rythment ensuite l’action de l’opéra, souvent de façon ésotérique. Posé à terre, il protège ou retient, enferme ou révèle. Par la magie des projections, il restitue une église ou libère les morts, damnés de la nuit de Walpurgis.

Pour Gloire immortelle de nos aïeux, les soldats, verts de gris, qui reviennent du Front, portent des couronnes d’épines. Les costumes sont particulièrement soignés et riches de couleur ou d’inventivité. Le grand manteau noir que revêt Méphistophélès annonce ses intentions. Sur ses pans sont écrits Man hat Gewalt, so hat man Recht (celui qui a la force a le droit). Poda choisit de relier ainsi l’œuvre de Gounod à celle de Goethe, à travers ces extraits du second Faust. Le bouquet de Siebel est un somptueux tapis de fleurs dans lequel se parera Marguerite comme d’un manteau. Le coffret à bijoux fait place à une housse à vêtements qui contient une robe brodée de diamants et une grande malle de voyage qui s’ouvre verticalement sur les fameux pendants d’oreille et le miroir (air des bijoux). Enfin, l’artiste ne résiste pas à quelques provocations avec sa vision d’une Dame Marthe travestie en une irrésistible vamp allumeuse – la pulpeuse Samantha Korbey est habillée d’une somptueuse robe noire, très échancrée… Même si « la voisine est un peu mure », Méphisto’ n’aura pas beaucoup à se forcer pour la séduire, surtout que le plumage vaut bien le ramage. Dans la sérénade Vous qui faites l’endormie, il crève les ballons noirs d’une dizaine de figurantes, autant de ventres enceints de femmes en deuil.

Côté musical, c’est le talentueux Gianandrea Noseda qui anime et dirige cette partition avec une grâce et un goût incroyables, à la tête des Coro e Orchestra del Teatro Regio. Excepté avec Michel Plasson, on a rarement entendu une telle perfection.

Si le Faust de Charles Castronovo est séduisant physiquement, il est aux prises avec des difficultés dans les aigus parfois meurtriers. Il peine pour la cavatine Salut, demeure chaste et pure dont le contre-ut final est raté. Mais dans l’ensemble, le ténor new-yorkais ne démérite pas, avec un français correct. On lui reprochera peut-être un manque d’engagement théâtral. Irina Lungu est particulièrement attachante et remarquable en Marguerite [lire nos chroniques du 18 mars 2007 et du 14 juillet 2011]. Toute candeur et séduction, elle ne tombe jamais dans le piège des Castafiore. Maîtrisant magnifiquement les difficultés de sa partition, le soprano russe d’origine moldave nous met à genoux. Il se fait tard, adieu !, son duo avec le rôle-titre, est un must. La basse bachkire Ildar Abdrazakov campe un Méphistophélès à la présence angoissante, voire terrifiante [lire notre chronique du 1er mars 2014]. Son physique et sa très belle voix impressionnent une audience captivée. Dommage que son français soit à peine intelligible. Vassili Ladiouk doit encore mûrir son Valentin. Le timbre du baryton russe est beau, mais la ligne vocale n’est pas stable et sa cavatine Avant de quitter ces lieux voit ses attaques fausses. Oublions le Siebel de Ketevan Kemoklidze, très doué scéniquement mais vocalement insuffisant, comme le Wagner de Paolo Maria Orecchia.

Au salut final, Stefano Poda fait aussi applaudir l’ensemble des personnels techniques et artistiques qui ont concouru à la réussite de sa production.

MS