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Chroniques
Charles Gounod
Le tribut de Zamora
Comme vient de le rappeler Gérard Condé, en charge d’une nouvelle édition revue et augmentée de Mémoires d’un artiste [lire notre critique de l’ouvrage], la carrière de Charles Gounod (1818-1893) est une suite d’échecs et de succès. En 1877, alors que Cinq-Mars est remis sur le métier dans l’espoir d’en sauver la destinée [lire notre chronique du 27 mai 2017 et notre critique du CD], le Français entreprend d’adapter l’histoire d’Abélard et Héloïse, les célèbres amants du Moyen Âge. À l’été suivant, le projet est présenté à Olivier Halanzier, directeur de l’Académie royale de musique depuis 1871. Celui-ci refuse Maître Pierre – une partition qui resterait inachevée, malgré sa reprise une demi-décennie plus tard – et oriente le compositeur vers Le tribut de Zamora. Gounod est séduit par un sujet « beau et coloré » mais rebuté par les vers de Jules-Henri Brésil, co-écrits avec le dramaturge Adolphe d’Ennery, célèbre auteur des Deux orphelines (1874). Dès la fin d’août 1878, il s’active à en améliorer certains, à en supprimer d’autres.
En juillet 1879, puisque l’ouvrage est promis pour l’automne, l’auteur de La vendetta (1838) réunit Camille Saint-Saëns et l’éditeur Antoine de Choudens autour d’une lecture au piano, puis invite le baryton Victor Maurel à entendre des passages d’un rôle qui serait, finalement, endossé par un autre. Il ne reste plus qu’à écrire le ballet quand, à la mi-septembre, Gounod réclame un délai de six mois pour achever son travail. En poste à la suite d’Halanzier, Auguste Vaucorbeil accepte – « la perfection de l’œuvre avant tout » –, malgré les embarras que lui cause ce retrait momentané. Le 19 mars 1880, la première répétition intégrale révèle la nécessité de couper une demi-heure de spectacle. Le 1er avril 1881, enfin, le rideau se lève sur ceux qui avaient déjà formé le trio principal du Polyeucte, éreinté en octobre 1877 : le soprano Gabrielle Krauss, le ténor Henri Sellier et le baryton Jean-Louis Lassalle.
Durant un quart de siècle, cinquante représentations parisiennes, puis celle données dans une vingtaine de villes d’Europe, rendent familière l’histoire de Xaïma, vierge espagnole du IXe siècle, promise au soldat Manoël et convoitée par le calife Ben-Saïd. À l’issue d’un tirage au sort qui lui est défavorable – le fameux tribut de Zamora –, elle est conduite à Cordoue, sur un marché aux esclaves. Là essayent de l’acheter Manoël, déguisé en Berbère, et la folle Hermosa qui cherche un objet de défoulement. Horreur ! c’est Ben-Saïd qui remporte les enchères. Manoël multiplie les occasions d’approcher l’objet de son amour, mais c’est finalement Hermosa qui, délivrée de sa folie, reconnaît sa fille en Xaïma et dénoue l’intrigue en poignardant Ben-Saïd.
Préparé à la nuance par Stellario Fagone, le Chor des Bayerischen Rundfunks apporte son soutien à huit solistes familiers des productions du Palazzetto Bru Zane. Trois soprani s’en détachent : Jennifer Holloway (Hermosa), qui use avec expressivité d’un mezzo aisé qui servit son début de carrière, Juliette Mars (Iglésia, Esclave), fort limpide, ainsi que Judith van Wanroij (Xaïma), toujours aussi fraîche, souple et brillante [lire notre critique du CD Cantates de Gounod]. Chez les hommes, les barytons dominent en nombre : Tassis Christoyannis (Ben-Saïd), chanteur ample et stable, Boris Pinkhasovich (Hadjar), bien impacté, et l’efficace Jérôme Boutillier (Roi, Soldat). Un ténor clair et ardent distingue Edgaras Montvidas (Manoël), tandis qu’Artavazd Sargsyan (Alcade, Cadi) séduit par la couleur, une fois encore [lire notre critique des CD Proserpine et Uthal].
Enfin, applaudissons Hervé Niquet à la tête du Münchner Rundfunkorchester aux cordes soyeuses, enregistrés au Prinzregententheater de Munich, en janvier 2018. Dans cet ouvrage qui mériterait de retrouver la scène autant que le sempiternel Faust, le chef français cultive avec aisance un suspense alternant espoir tendre et sauvages menaces, un exotisme discret qui étonne moins que certains passages intemporels.
LB