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Chroniques
Charles Gounod
musiques du prix de Rome
En 1831, à Paris, on peut savourer Otello de Rossini (1816) avec Maria Malibran et Giovanni Battista Rubini, pour qui Bellini écrirait les rôles d'Elvino (La sonnambula, 1831) et d'Arturo (I puritani, 1835). Sa mère promet au jeune Gounod (1818-1893) qu’il assisterait à une représentation. Fou de joie et d’impatience, l’enfant perd le sommeil, après l’appétit – « si tu ne manges pas, tu m’entends, tu n’iras pas aux Italiens ! ». De sa première expérience dans un temple lyrique qui conforte sa vocation, il écrit : « je sortis de là complètement brouillé avec la prose de la vie réelle, et absolument installé dans ce rêve de l’idéal qui était devenu mon atmosphère et mon idée fixe » (in Mémoires d’un artiste, Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 2018) [lire notre critique de l’ouvrage].
À une génitrice qui élève seule deux garçons avec des ressources incertaines, le musicien jure de remporter le fameux prix de Rome qui, depuis 1803, vient couronner les études au conservatoire. Il en fait « une question de vie ou de mort pour [s]on avenir », d’autant que la conscription militaire par tirage au sort, menace pour les moins de vingt ans depuis la retraite de Russie (1812), n’est contournable que pour les plus riches. L’ancien élève de Reicha s’attache donc à mettre en musique le livret de Léon Halévy, influencé par le romantisme de Walter Scott, et livre une cantate à deux voix, Marie Stuart et Rizzio (1837), qui lui assure la deuxième place. L’année suivante, La vendetta (1838) est un échec qui ne laisse plus à Gounod qu’une dernière chance. Après la Corse, Amédée de Pastoret mène les participants sous les remparts de Grenade et Fernand (1839) vers la victoire son créateur.
Face à Sébastien Droy (Rizzio), plein de santé, Gabrielle Philiponet (Marie Stuart) paraît un peu fragile, comme absente, et sa diction n’est pas idéale. Alors qu’elle a parfois déçu, Chantal Santon-Jeffery (Marcella) offre, quant à elle, un soprano facile et ample, tandis que Yu Shao (Lucien) brille par son héroïsme en se muant en fils vengeur, après l’assassinat du père. Enfin, on apprécie l’expressivité de Nicolas Courjal, rôle-titre d’une scène lyrique pour trois voix, l’agilité et la précision de Judith Van Wanroij (Zelmire) et, à nouveau, la fiabilité d’un Yu Shao au ténor clair (Alamir).
Le 27 janvier 1840, Gounod arrive à Rome, capitale qui l’initie «aux grandes et sévères beautés de la nature et de l’art ». L’exécution décevante des artistes à la mode, pâles rejetons rossiniens (Donizetti, Mercadante, etc.), le pousse d’autant plus à fréquenter la Chapelle Sixtine, détentrice d’une grande tradition de musique sacrée (Palestrina en tête). Pour la première fois depuis des années, il communie, lors d’une fête d’Annonciation bien symbolique. Les œuvres d’inspiration religieuse préfigurent « une velléité d’adopter la vie ecclésiastique » qu’il abandonnera définitivement en 1848, dont quatre sont au programme d’un second disque initié par le Centre de musique romantique française : Messe de Saint-Louis-des-Français (1841), Christus factus est (1842), Messe vocale et Hymne sacrée (1843).
Commencé dans la gravité, la première messe semble vite anecdotique. Caroline Meng s’y distingue par un mezzo efface, tandis que son confrère Artavazd Sargsyan peine dans les parties les plus tendues. L’emphatique Christus a l’avantage de solliciter le soprano sans faille de Judith Van Wanroij. Accompagné d’Alexandre Duhamel au baryton assez terne et peu nuancé, ce trio d’artistes investit la peu fascinante Hymne sacrée – où le ténor franco-arménien fait oublier, par sa souplesse et son aisance, les dérapages évoqués. Comme dans les cantates précédentes, Hervé Niquet tire le meilleur d’un Brussels Philharmonic pour le moins excellent. Reste à évoquer la Messe vocale, mélange magnifique de sérénité et d’enjouement d’inspiration palestrienne, confié aux voix équilibrées du Vlaams Radio Koor, sur fond d’orgue – François Saint-Yves.
LB