Chroniques

par laurent bergnach

Charles Gounod
Faust

2 DVD Opus Arte (2021)
OA 1330 D
Dan Ettinger joue "Faust" (1859), le fameux opéra de Charles Gounod

Sans surprise, dans l’index des œuvres de Charles Gounod (1818-1893) qui conclut une récente édition de Mémoires d’un artiste [lire notre critique de l’ouvrage], c’est Faust qui comporte le plus grand nombre d’entrées, loin devant Roméo et Juliette et La reine de Saba. C’est que l’ouvrage le plus fameux du Français y est évoqué souvent, depuis les premières idées venues sous la lune italienne (1841) jusqu’aux reprises à l’étranger – Hambourg (« ma pièce a remis les affaires complétement à flot »), Londres (« succès décisif »), etc. –, sans même parler de la concurrence avec un mélodrame éponyme d’Adolphe d'Ennery (1858) qui fit repousser au 19 mars 1859 la création au Théâtre Lyrique.

Pour cette reconstitution d’une mise en scène de David McVicar filmée à la Royal Opera House en avril 2019, Bruno Ravella dispose de moyens luxueux qui lui permettent d’approcher le réalisme de certaines peintures dix-neuvièmistes – Charles Edwards est en charge des décors, Brigitte Reiffenstuel des costumes. D’emblée se confrontent l’orgue d’église et la malle de théâtre, l’un qui incarne un monde hiératique et sage, l’autre l’univers d’inépuisables fantaisies – les nombreux ballets et acrobaties sont réglés par Emmanuel Obeya, d’après la chorégraphie de Michael Keegan-Dolan. Méphistophélès dispense les plaisirs, prêt à tout pour divertir autrui en s’amusant lui-même, sans se prendre au sérieux. D’ailleurs, pourquoi ne pas chahuter aussi la pièce originale (1808), à l’instar de Gilbert Keith Chesterton (1874-1936), apologiste du christianisme à la plume joyeuse qui écrit :

« le Faust de Goethe, dès qu’il est fait jeune homme, devient bien vite un vrai et jeune vaurien. Il se fourre aussitôt dans une intrigue locale – je ne dirai pas dans une embrouille amoureuse locale parce que (comme dans la plupart des affaires de ce genre) seule la femme est embrouillée. Mais il y a bien quelque chose du mauvais côté de l’Allemagne, il y a quelque chose du sentimental vulgaire, dans ce salmigondis de séduction et de salut ! L’homme cause la ruine de la femme ; la femme, par conséquent, sauve l’homme ; et voilà la morale, die ewige Weiblichkeit » (in Le paradoxe ambulant, Actes Sud, 2004 ; traduction de Isabelle Reinharez).

Avec un chant ample et un accent qui, pour le coup, renforce la guignolerie du personnage, Erwin Schrott (Méphistophélès) incarne un cabotin inoubliable – sympathique en diable ! Michael Fabiano (rôle-titre) marque aussi les mémoires, si l’on considère sa fulgurance vocale alliée à un timbre lumineux, ainsi qu’une diction exemplaire. On aime également le soprano puissant et bien serti d’Irina Lungu (Marguerite). Stéphane Degout (Valentin), sonore mais plus terne que de coutume, l’éclatante Marta Fontanals-Simmons (Siébel), Germán Enrique Alcántara (Wagner) et Carole Wilson (Dame Schwertlein) complètent la distribution avec avantage. À la tête des orchestre et chœur maison, l’excellent Dan Ettinger apporte à l’ouvrage toute la nuance qu’il mérite.

LB