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Chroniques
Charles Ives
intégrale des enregistrements du compositeur au piano
Apparue à la fin du XIXe siècle, l'invention de l'enregistrement sonore permit la conservation de moments précieux, notamment en ce qui concerne les plus importants compositeurs de la première décade du siècle suivant. Elgar, Rachmaninov, Stravinsky ou Richard Strauss, parmi d'autres, nous ont laissés une interprétation de leurs propres œuvres. Sans se soucier de postérité, Charles Ives (né à Danbury, le 20 octobre 1874, mort à New York, le 19 mai 1954) souhaitait plutôt juger de sa propre musique avec une oreille extérieure (« for my own observation », écrit-il dans ses Mémoires). Mais Mary Howard, ingénieure du son, rapporte aussi qu'il est venu la voir en réponse aux nombreuses lettres d'interprètes en quête de conseils – « Interpréter ! Interpréter ! S'ils ne connaissent rien à la musique, alors je vais leur apprendre ».
En 1933, retiré de sa compagnie d'assurance, ayant mis terme à son activité de compositeur, Ives avait certes entendu de nombreux enregistrements de son travail instrumental, mais aucun de ses pièces pour piano. À l'occasion d'un long séjour en Europe, il se présenta à la Colombia Graphophone Company de Londres pour y réaliser une première séance de travail. Celle-ci se déroule entre tristesse et amusement : lorsque le jeu est bon, une sonnerie annonce la fin de la prise avant la fin du morceau ; le son est conservé quand l'exécution est mauvaise, etc., sans parler des jurons qui se mêlent aux notes. « Un homme joue pour lui-même et sa musique commence à vivre, conclut le créateur découragé, alors il essaie de la confier à une machine, et c'est mort ! »
À l'issue de sessions réalisées dans quatre studios différents – du 12 juin 1933 au 24 avril 1943 –, Ives a gravé dix-sept morceaux, dont des improvisations (11mai 1938) et des transcriptions qui permettent de suivre l'évolution de la Sonate « Emerson ». Son style spontané, ses tempi rapides, sa volubilité dans les accelerandi trahissent de l'idéal romantique avec lequel il a grandi. Malgré un livret tout en anglais mais très détaillé et des parasites souvent au rendez-vous, ce disque demeure un témoignage émouvant de l'époque où les phonographes domestiques proposaient des plages de cinq minutes à peine, et de ce qu'un pacifiste peut faire de ses poumons, à soixante-dix ans…
LB