Recherche
Chroniques
Charles Koechlin
Les confidences d’un joueur de clarinette – Sonatine n°1 et n°2
En 1934, un réalisateur de cinéma commande une musique d'accompagnement à Charles Koechlin. Le film sera une adaptation d'une nouvelle d'Erckmann-Chatrian, Les Confidences d'un joueur de clarinette. C'est une époque où le compositeur, en plus de s'inspirer souvent de la littérature (Le Livre de la Jungle, Le buisson Ardent), se passionne pour les photos de voyage et s'intéresse vivement au septième art. Mais, une fois de plus, son travail ne deviendra pas musique de film, le film prévu ne voyant jamais le jour. De ce projet d'une cinquantaine de minutes, à base de dialogues et de musique intercalée, le polymorphe Philippe Joyeux tire un canevas du scénario établi par Koechlin et, devenant récitant, nous raconte cette histoire – à l'instar d'une Jeanne Moreau dans Histoire de Babar ; et on y pense d'autant plus que Poulenc fut l'élève de Koechlin...
Nous voici en Alsace, dans le village d'Eckerwir, en 1834. De quoi replonger Charles Koechlin dans son enfance qu'il avait précisément passée dans cette région. Le jeune Kasper, « ...un peu rond de partout, sensuel et gourmand... », ne fait rien d'autre que jouer de la clarinette. Il fait danser les couples dans les fêtes régionales. Son copain Waldhorn joue du cor de chasse, et tous deux « sonnent comme un orchestre ». Il vit chez son oncle Stavolo et est amoureux de sa cousine Margrédel – que Waldhorn trouve « trop grasse, trop blonde, trop coquette ». On annonce le retour d'Afrique du fils du vieux Yéri de Kirschberg.« Ah ! Mais je le connais bien ! » déclare Margrédel, qui n'a pas oublié ce très beau garçon, grand et tout blond, qui l'a invitée à danser il y a sept ans. Kasper n'est pas le dernier à comprendre l'amour de ces deux êtres l'un pour l'autre. Il préfère quitter le village quelque temps, allant jusqu'à défaire son oncle de sa promesse de mariage : il aime trop sa cousine pour faire son malheur et renonce à l'épouser.
C'est donc une histoire d'amour déçu qui se joue ici, dans la grande tradition romantique, mais sans drame final. Margrédel promet d'aimer Kasper comme un frère, Waldhorn est là pour changer les idées de l'amoureux dépité... Le décor en est une Alsace idéale, verdoyante, aux bals qu'on imagine champêtres ou sylvestres, et cette grande place de la nature dans l'œuvre est renforcée par les titres des intermèdes musicaux : Aubade des vendanges, Le bouquet de fleurs des champs pour Margrédel, Les oiseaux dans le matin ensoleillé, etc. On retrouve ici l'amour de Koechlin pour la nature, qui passait de longs moments en bains de mer, en randonnée de montagne et bien sûr à s'occuper de son jardin (que les voisins appelaient « la forêt vierge »). Que les deux instruments en vedette soient des instruments à vent n'est pas non plus un hasard.
La seconde partie de ce disque laisse place aux Sonatine n°1 et n°2 Op.194 pour hautbois d'amour, composées en 1942. Dans le livret de l'édition, c'est Yves Koechlin, fils du compositeur, qui nous décrit cette œuvre pour dixtuor (hautbois d'amour, flûte, clarinette, clavecin, deux violons, deux altos, deux violoncelles) :
« La première Sonatine comporte cinq mouvements, monodie du hautbois d'amour accompagné par les six autres instruments. Le deuxième et le troisième mouvement sont très représentatifs de Koechlin dans leurs développements calmes et brillants ; monodie tout d'abord, puis dialogue avec les autres dans une harmonie toute en subtilité. Le final est un allegro joyeux et heureux d'un remarquable équilibre ».
Pour la seconde Sonatine, il évoque « ...la sérénité et la tendresse du premier mouvement où la flûte s'entrelace harmonieusement avec le hautbois. Le deuxième mouvement nostalgique est suivi du troisième mouvement beaucoup plus contrasté, chromatique et contrapuntique, montrant souffrance et tristesse. Enfin le final termine sur une note infiniment plus gaie et optimiste où le hautbois chante dans le haut de son registre ».
L'instrumentarium de ces pièces surprend, à première écoute. Il est assez étonnant d'entendre une sonorité à la fois proche des compositions instrumentales baroques et des concerti de Bruno Maderna. Une parenté avec Poulenc autant qu'avec Falla définirait peut-être le mieux ces œuvres dont la structure reste classique, surtout pour la seconde, la première ressemblant plus à une suite de danses.
Ce disque a été enregistré à l'automne 2000 par le Kammer Ensemble de Paris et Jean-Louis Capezzali au hautbois d'amour, dirigés par Armin Jordan, grand habitué de la musique française de cette époque. On leur doit des interprétations fines, nuancées, enthousiastes, et non dénuées de poésie. Signalons un très émouvant Lamento pour clarinette, alto et violoncelle dans l'Opus 141, et l'avant-dernier mouvement de la Deuxième Sonatine, étiré douloureusement sur trois minutes alanguies. Avec ce disque, on pourra approfondir l'écoute de l'œuvre encore méconnue de Koechlin qui ne se limite pas à quelques pièces pour flûte seule ni au Livre de la Jungle. Quand proposera-t-on, par exemple, une intégrale de ses mélodies ?
HK