Chroniques

par hervé könig

Charles Koechlin
musique de chambre avec flûte

1 CD Hänssler Classic (2005)
93.157
Charles Koechlin | musique de chambre avec flûte

Descendant d'une grande famille d'inventeurs, ingénieurs et industriels alsaciens, Charles Koechlin (1867-1950) nourrit, jusqu'à la vingtaine, le projet de devenir astronome. Finalement, il se consacre entièrement à la musique, devenant élève de Gédalge, Massenet et Fauré – avant d'être lui-même une référence pour le jeune Darius Milhaud. Très tôt, il se révèle un orchestrateur doué – pendant la Seconde Guerre mondiale, son inspiration paralysée, il achève un Traité d'orchestration en quatre volumes –, mais son langage musical personnel ne commence à voir le jour que vers 1910, notamment par le biais de ses recherches en musique de chambre. Oppositions de tonalités éloignées, grande liberté de modulation, polytonie, etc., conduiront Koechlin à l'avant-garde des années vingt.

Hautboïste et corniste de bon niveau, héritier d'un intérêt traditionnel français pour les bois, le musicien écrit en 1848 : « La flûte peut nous faire entendre des mélodies toutes de sérénité, ou des phrases dramatiques que la froideur et l'éclat du timbre rendent plus impressionnantes encore ; elle peut se livrer à d'étincelantes broderies, à des arpèges fantaisistes d'une gaîté folle ». Le présent disque Hänssler Classic, consacré à cet instrument, nous donne aussi une idée de l'évolution artistique du musicien.

Les Deux nocturnes Op.32 bis pour cor, flûte et piano (1897-1907), s'ils restent assez conventionnels, annoncent la facilité du compositeur à créer des nuances subtiles à partir d'un effectif peu commun. Ils ne seront créés qu'en 1965. On relèvera la tendresse à laquelle les artistes de cet enregistrement s'ingénient dans Venise, avec ses réminiscences d'un étrange pathos de cirque lunaire, tandis que Dans la forêt regarde tant vers Ma mère l'Oye (Ravel) que vers le Livre de la jungle du même Koechlin.

Juste avant le premier conflit mondial, une période de création intensive donne naissance au Premier Quatuor à cordes comme à la Suite en quatuor Op.55 (1911-15) en trois mouvements, rêvée d'abord comme un duo entre le piano et l'instrument à vent avant d'intégrer violon et alto. Si le Moderato quasi andante se déroule dans une douce et calme constance, les rythmes de l'Allegro con moto final évoquaient à son créateur une danse à destination d'Isadora Duncan ou des Ballets Russes. On regrettera ici une lecture quelque peu scolaire, qui ne trouve d'inspiration que dans l'élégiaque Andante quasi adagio central.

Viennent ensuite la Sonate Op.75 pour deux flûtes (1918-20) et le Trio (Divertissement) Op.91 pour deux flûtes et clarinette (1923-24), où Charles Koechlin joue avec les limites de la tonalité, contemporains du poème symphonique La Course du Printemps (écrit entre 1923 et 1927) – l'auteur concevant désormais l'écriture de chambre comme une activité de détente. Ici, la nudité de l'Assez lent de l'opus 75 est saisissante, les entrelacs de l'Allegretto scherzando affichant une grande fraîcheur, avant qu'un Final mêle délicieusement un motif qui invite à la fugue à un contrepoint délicatement alambiqué. Le début de l'opus 91 évoquerait plus une syrinx qui échangerait soudain sa finesse de timbre avec la volubilité grasse de la clarinette ; après un Très calme savamment nuancé par Tatiana Ruhland et les artistes du Sudwestrundfunk Sinfonieorchester Stuttgart, l'étrange et vibrant Allegretto central se garde de livrer ses énigmes, tandis que le dernier mouvement semble vouloir faire la conversation. On saluera ce Divertissement en trio comme une interprétation pleine d'esprit. Quant au Trio Op.92 pour flûte, clarinette et basson (1924) qui, pour parallèle au grand œuvre qu'il soit, n'en mérite pas pour autant d'être regardé comme un acte dilettante, il bénéficie lui aussi d'une approche sensible, à travers un Lent plaintif et mystérieux, un Moderato relativement classique, doux choral qui ne laisse pas deviner la Fugue finale, exquisément primesautière.

Cinéphile assidu depuis sa rencontre avec L'Ange Bleu, Koechlin dédia à une jeune actrice disparue à vingt-six ans, le 7 juin 1937, son Épitaphe de Jean Harlow Op.164 où le jeu des timbres entre flûte, saxophone, alto et piano est plein d'imagination. Les musiciens ici réunis rendent parfaitement compte, par la fluidité de cette exécution, de la pudeur de cette sorte d'élégie faussement désinvolte. D'ailleurs, après la Libération, Koechlin compose avec beaucoup d'inventivité ses premières musiques de film qu'il oppose à sa production sérieuse qui tend alors vers la monodie, comme cette Sonatine modale Op.155a pour flûte et clarinette (1936-37). En cinq mouvements, elle témoigne de l'intérêt de la maturité pour les formes anciennes. On retrouve son dépouillement dans une dernière œuvre : la Pièce de flûte pour lecture à vue Op.218, accompagnée par un piano discret, commande pour un examen de Conservatoire en 1948 et, en quelque sorte, partie émergée de l'iceberg puisque le compositeur a consacré à l'instrument trois recueils de trente-deux pièces chacun.

HK