Chroniques

par hervé könig

Charles Koechlin
œuvres vocales avec orchestre

2 CD Hänssler Classic (2005)
93.159
Charles Koechlin | œuvres vocales avec orchestre

En 1892, après avoir refusé de s'orienter vers une carrière militaire, Charles Kœchlin (1867-1950) entre dans la classe de composition de Jules Massenet – reprise bientôt par Gabriel Fauré. Côtoyant les jeunes Hahn, Schmitt, Ravel et Enesco, le compositeur évoquera plus tard les « étranges aperçus » que recelaient ces cours, « comme des fenêtres ouvertes dans le mystère des sons, comme des échappées vers la grande forêt vierge qu'était la musique de l'avenir ». Et de citer Franck, Chabrier, et surtout Debussy qui, avec Wagner, sera une première source d'inspiration. Hänssler Classic présente ici plusieurs œuvres pour orchestre et voix de ces années de formation (1890-1910), qui font l'objet, à part un court morceau arrangé d'après Fauré, d'un premier enregistrement mondial. Pour la majorité, on peut même parler de première exécution.

La composition vocale joua un grand rôle à cette époque de la vie de Kœchlin, de même que fut marquante l'influence de la poésie parnassienne qui réagissait, par une esthétique formelle exigeant des descriptions objectives, au romantisme essoufflé. Ainsi retrouve-t-on les noms bien connus de Leconte de Lisle, Sully Prudhomme, José-Maria de Heredia pour Poèmes d'Automne Op.13 et Trois Mélodies Op.17, Edmont Haraucourt (Quatre poèmes Op.7, 1890-1895), André Chénier (Deux Poèmes Op.23, 1900-1902) ou encore Albert Salmain (Six mélodies Op.31, 1902-06). Kœchlin écrivit quelques quatre-vingt mélodies, d'abord conçues avec accompagnement de piano, et dont une bonne moitié se trouverait orchestrée – le plus souvent dans la foulée mais, en ce qui concerne Chénier et Salmain, des dizaines d'années plus tard.

Trois morceaux pour orchestre complètent ce programme : Deux poèmes symphoniques Op.43 (commencé en 1898, arrangé en 1916), trois Études antiques Op.46 (1908-10 / 1913) qui reprennent des motifs de mélodies pour piano des opus 31 et 39, et surtout le Chant funèbre à la mémoire des jeunes femmes défuntes Op.37 (1902-07/ orch. 1908). L'œuvre s'inspire d'un poème d'Haraucourt (Vierges mortes) mais repose sur des textes en latin de la messe de Requiem. Kœchlin la commente : tout d'abord, « le cortège funèbre décrit par le poète », suivi d'une longue plainte « dans une atmosphère lourde de sanglots et de fleurs », puis un brusque sursaut rappelant la réalité de la mort, enfin un long crescendo de l'orchestre, des chœurs et de l'orgue disant « la lumière éternelle en échange promise » et « la voix blanche des flûtes » retrouvant l'atmosphère initiale.

L'auditeur rencontrera ici deux CD avantageusement servis par les artistes du Radiosinfonieorchester Stuttgart et de son Vokalensemble, sous la battue de Heinz Holliger, complétant une intégrale précieuse de la musique de Kœchlin. Passant d'ambiances encore vaguement berlioziennes, parfois même opératiques, à des motifs plus proches de Duparc et de Chausson, ces enregistrements offrent l'aigu lumineux, l'égalité de l'impact vocal et la diction soignée du sopranoJuliane Banse, surprenante à plus d'un titre. Usant d'une voix endurante, vaillante, avec un art délicat et un vrai sens musical, la soliste explore exquisément la fraîcheur de Pleine eau, se révélant plus inspirée encore dans Déclin d'amour comme pour sinuer dans le méandreux Rêves des morts, énigmatique. Alternant raffinements chambristes et copieux déploiements lyriques, le chef la soutient avec une expressivité remarquable, toujours soucieuse de l'équilibre entre pupitres.

HK