Chroniques

par bertrand bolognesi

Charles Koechlin
Vers la voûte étoilée Op.129 – The Seven Stars’ Symphony Op.132

1 CD Capriccio (2022)
C5449
Superbe gravure de la Seven Stars’ Symphony de Koechlin par Ariane Matiakh

Il est encore un grand absent des salles de concert où on ne croise son œuvre que très sporadiquement. Il fut pourtant l’un des compositeurs les plus cohérents de sa génération et des plus productifs, en sus d’avoir développé une conscience très aiguisée de la démarche compositionnelle et de s’être affirmé en maître de l’orchestration. Chaque fois que faire se put nos colonnes ont évoqué, avec enthousiasme, la musique de Charles Koechlin, compositeur d’origine alsacienne né à Paris en 1867 [lire nos chroniques de Chants de Kervéléan, Confidences d’un joueur de clarinette, L’Abbaye, Épitaphe de Jean Harlow, Chant funèbre à la mémoire des jeunes femmes défuntes, Chansons bretonnes, Le livre de la jungle, Quatuors à cordes, Les heures persanes, Sept rondels, À l’ombre près de la fontaine de marbre et Troisième sonatine].

Ainsi nous exprimions-nous, il y a quelques années déjà, à propos de Sur la voûte étoilée Op.129, un nocturne orchestral conçu entre 1923 et 1933 puis révisé en 1939, dont la première n’eut lieu qu’en 1989, en Allemagne, et qui attendra encore 1995 pour être publié, alors donné à Strasbourg par Heinz Holliger, le champion de Koechlin [lire notre chronique du 13 décembre 2007]. Nous retrouvons au disque cette page subtile dédiée à la mémoire de l’astronome français Camille Flammarion qui s’éteignit pendant l’écriture, enregistrée en janvier 2021 au Stadtcasino de Bâle par Ariane Matiakh [lire nos chroniques de la Symphonie Leningrad, Los esclavos felices, Der Schleier der Pierrette et des Concerti pour piano d’Ernő Dohnányi]. Ouverte dans une contemplation douce – Andante, très calme – où sans doute le souvenir de Fauré l’emporte sur celui de Debussy que le compositeur admirait beaucoup – Molto tranquillo puis Adagio presque dolcissimo –, la pièce est peu à peu gagnée par une emphase active, pourrait-on dire, convoquant d’impressionnantes fanfares stellaires. On y apprécie le soin précis des timbres par la cheffe, qui par ailleurs rend parfaitement fluides les complexités métriques de la partition, et la qualité des pupitres du Sinfonieorchester Basel [lire nos chroniques de Penthesilea, Schneewittchen, Le joueur et Carmen].

L’année même de l’achèvement de Vers la voûte étoilée, Charles Koechlin s’attelle à un projet plus vaste qui comptera sept mouvements. Durant les mois de juillet, août, septembre et octobre 1933, il compose The Seven Stars’ Symphony, titre en langue anglaise qui rend hommage au cinéma nord-américain que l’artiste admire. La Bibliothèque musicale La Grange-Fleuret, autrefois Médiathèque musicale Gustav Mahler [lire notre entretien avec Alain Galliari, avril 2006], conserve les cahiers sur lesquels le musicien rédigeait ses sentiments au sortir des projections. Il s’y révèle à la fois passionné du septième art et subjugué par certaines (belles) actrices. Il n’empêche, sa Symphonie des sept Étoiles, dont Manuel Rosenthal créera les premier, quatrième et septième épisodes avenue Montaigne en décembre 1944 avec l’Orchestre national de l'ORTF, avant que dans les studios londoniens de la BBC, le 16 novembre 1969, Norman Der Mar joue l’œuvre dans son intégralité, à la tête du London Philharmonic Orchestra.

Après une première tentative de symphonie en 1893, demeurée inédite, la Symphonie n°1 Op.57bis qui est, en fait, l’orchestration en 1926 du Quatuor à cordes n°2 Op.57 de 1915, Koechlin réalise sa deuxième contribution au genre avec The Seven Stars’ Symphony – elle sera suivie par Symphonie d’hymnes Op.127 en 1936, qui regroupe plusieurs de ses pages, puis par la Seconde Symphonie Op.196 en 1944. Après le mystérieux Karel Melk et l’Eggenburg Symphony Orchestra dans les années soixante (Aries) – vraisemblablement Norman Der Mar et le London Philharmonic Orchestra, ainsi déguisés pour des raisons qui nous échappent aujourd’hui –, Alexandre Myrat et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (EMI, 1982), enfin James Judd et le Deutsches Symphonic-Orchester Berlin (RCA, 1985), voilà que la formation suisse livre son interprétation de l’œuvre, sous la battue d’Ariane Matiakh. Chaque chapitre illustre une actrice ou un acteur des salles obscures. Sous-titré En souvenir du Voleur de Bagdad, le premier est dédié à Douglas Fairbanks (1883-1939), héros du film de Raoul Walsh (The Thief of Bagdad, 1924), d’où les nombreux orientalismes d’une orchestration luxuriante. Quant à elle, Lilian Harvey (1906-1968) est anglaise par sa mère et allemande par son père – son vrai nom était Pape, comme un certain baryton-basse saxon d’aujourd’hui. Elle était également chanteuse, dans le registre populaire, ce qui inspira au compositeur, quasi amoureux d’une image lointaine, de nombreux autres opus. Il lui consacre un Menuet fugué tout de grâce printanière. Un solo d’ondes Martenot apporte une étrangeté fascinante à l’abord du troisième mouvement, Greta Garbo, un choral païen calmement étiré, dans un climat éthéré, insaisissable tel le regard fuyant de la vedette suédoise (1905-1990). Pour la New-Yorkaise Clara Bow (1905-1965), sulfureuse égérie d’Hollywood qui, après près de cinquante bobines muettes entre 1921 et 1928, participe à une dizaine de productions parlantes entre 1929 et 1933, Koechlin compose Clara Bow et la joyeuse Californie, sorte de scherzo quasi valsé dont la savante inconstance voyage parmi les scandales qui parsème la carrière mouvementée de la dame.

Et la clarinette basse d’alors ciseler l’amorce de Marlene Dietrich, variations sur le thème fourni par les lettres de son nom. C’est par Der blaue Engel (1930), le fameux film de Josef von Sternberg d’après un roman d’Heinrich Mann (Professor Unrat oder Das Ende eines Tyrannen, 1905) que Charles Koechlin a découvert le cinéma. L’ange redoutable y est incarné par la belle Berlinoise (1901-1992) à laquelle il voue cette section toute de sensualité tendre à l’aura nostalgique. Le rôle de la victime de Lola revenait à un autre artiste allemand, Emil Jannings (1884-1950), comédien pour Max Reinhardt au Deutsches Theater de Berlin, sous son nom véritable d’Emil Janenz, puis aux studio de Babelsberg (UFA) où il tourne notamment pour Buchowetzki et Murnau, entre autres, avant l’essor de sa carrière hollywoodienne. Un climat inquiétant, tourmenté même, ouvre Emil Jannings, en souvenir de l’Ange Bleu, mené au comble du drame à l’issue du premier tiers du mouvement. Un entrelacs cantabile de flûte, clarinette et basson, en manière de transition, mène finalement à une mélodie résignée dont les interprètes révèlent la lumière rassérénante. Au Londonien Charlie Chaplin (1889-1977), Koechlin dédie l’ultime partie de sa The Seven Stars’ Symphony, également la plus longue puisque sa durée s’approche du triple de celle des autres. Charlie Chaplin, variations sur le thème fourni par les lettres de son nom alterne un prélude sournois avec plusieurs péripéties fort contrastées. Saluons la fertile expressivité d’Ariane Matiakh et des musiciens du Sinfonieorchester Basel qui signent une version formidablement savoureuse.

BB