Chroniques

par bertrand bolognesi

Charles-Yvan Élissèche
Le personnel musical de la Sainte-Chapelle de Paris – XVIe et XVIIe siècles

Classiques Garnier (2022) 424 pages
ISBN 978-2-40612-557-0
"Le personnel musical de la Sainte-Chapelle de Paris" de Charles-Yvan Élissèche

Docteur en musicologie, Charles-Yvan Élissèche, chercheur associé au Centre d’études supérieures de la Renaissance (Université de Tours), édite chez Classiques Garnier une thèse passionnante qui mène enquête sociologique au sein d’une institution au statut très particulier. D’abord châsse monumentale des Reliques de la Passion, la Sainte-Chapelle de Paris, fondée par Louis IX en 1245, abrite une vie musicale intense dont les acteurs sont soumis à un fonctionnement précis, mais en constante évolution. Entre chantres, issus principalement de l’ensemble des chapelains et des clercs ordinaires, enfants de chœur, maître de musique et hauts dignitaires, exerçant une influence sur la dimension musicale des offices, règne une hiérarchie à la fois rigoureuse et ambiguë qui, à travers les siècles et les réformes successives, font de la Sainte-Chapelle une particularité dans le paysage religieux français.

Ce vaste essai infiniment renseigné, qui n’omet pas même de mettre en doute certaines sources en les considérant toujours d’un œil critique et conscient des réalités historiques de chaque époque (parfois si évidentes qu’elles peuvent être tues), s’articule en quatre grandes parties. Des musiciens et de la musique dans les sources expose le degré d’intérêt des mémoriaux administratifs et ce en quoi ils demeurent souvent insuffisants, et celui des archives maîtrisiennes avec, pour document de référence, le Règlement non officiel en ce que nul ecclésiastique du Chapitre ne l’a reconnu et encore moins le roi de France. La recherche s’appuie également sur les ordines, établies dès la fin du XVe siècle, qui indiquent les ordonnances rituelles de chaque jour et témoignent des pratiques cérémonielles. Attribuées au chanoine Gilles Dongois, les Mémoires pour servir à l’histoire de la Sainte-Chapelle du Palais Royal à Paris, élaborés avec le chanoine Charles du Tronchay, sont consultés comme dictionnaire historique des hauts dignitaires de la Sainte-Chapelle. L’auteur a également recours à deux ouvrages imprimés à la fin du XVIIIe siècle, où ce qui concerne les musiciens reste rare. Enfin, pour en reconnaître certaines limites, il ne dédaigne pas l’étude que Michel Brenet – pseudonyme de la Lorraine Marie Bobillier (1858-1918) – publiait en 1910 : Les musiciens de la Sainte-Chapelle du Palais. « Le croisement de toutes ces sources permet de saisir des changements opérés entre le début du XVIe siècles et la fin du XVIIe siècles », conclut-il. À détailler sa hiérarchie, il met au jour le fait que la Sainte-Chapelle, sujette à des modifications permanentes, n’a pas évolué en tant que chapelle palatine mais de manière nettement plus indépendante, voire singulière.

Si, en l’absence de documents qui témoigneraient d’une législation officielle, il demeure malaisé de connaître avec précision les conditions de réception, les rôles et les fonctions de maitre de musique de l’institution, l’examen des comptes rendus du chanoine secrétaire autorise l’étude de la place de ce fonctionnaire ecclésiastique. Ainsi Élissèche invite-t-il son lecteur dans la vie de la maîtrise et de son principal acteur, dans Le musicien du Chapitre, le maître de musique. Le droit de nommer le maître revient au trésorier seul, mais les chanoines n’ont eu de cesse d’œuvrer pour se l’approprier, de sorte qu’il fut plus d’une fois dérogé à cette règle, selon des circonstances variées. À ce poste, nous approchons diverses figures : Pierre Vermont, Pierre Certon, Jehan Bareau, Étienne Testart, Jehan Gilloteau, Jacques Renvoyré, Antoine Blésimart, etc., autant de personnages dont varie le destin. Avec l’arrivée de Jean de Bournonville, en novembre 1631, la fonction commence à se séculariser, selon une tendance à la professionnaliser qui s’affirmera toujours plus : le maître de musique est désormais choisi pour ses compétences musicales, son statut passant donc d’ecclésiastique musicien à musicien ecclésiastique, puisqu’il peut accéder à cet état une fois en poste.

Une hiérarchie unique en France régit la vie des chapelains et des clercs ordinaires de la Sainte-Chapelle, ecclésiastiques au service institutionnel et musical du Chapitre. La troisième partie, Le clergé régulier, approfondit l’abord de ce milieu musical. S’ensuit l’étude de la cérémonie de réception des nouveaux ecclésiastiques, qui s’est maintenue de manière plutôt constante au fil des siècles, par-delà quelques adaptations. Les chapelains et clercs ordinaires sont considérés avant les enfants de chœur dans les statuts mais ne jouissent pas de considération plus gratifiante : ils constituent un personnel musical et religieux subalterne. Chaque emploi, pour ainsi dire, est ensuite dûment jaugé, des marguillers aux musiciens gagés en passant par les instrumentistes à vent et l’organiste, grand oublié des registres quoique musicien de premier plan. Encore prenons-nous connaissance du rayonnement des musiciens de la Sainte-Chapelle à l’extérieur ainsi que des usages auxquels il se conforme. Enfin le dernier épisode de l’ouvrage, Des musiciens dans le Chapitre, traite du rapport entre hiérarchie ecclésiastique et pouvoir royal, selon un modus vivendi qui se fixera dans les premières années du XVe siècle et se vérifie jusqu’aux ultimes du XVIIIe. Ainsi la châsse des reliques de la Passion devint-elle l’église d’une assemblée de musiciens dont l’histoire se révèle passionnante.

BB