Chroniques

par laurent bergnach

Chaya Czernowin
Heart chamber | Chambre du cœur

1 DVD Naxos (2021)
2.110673
Johannes Kalitzke joue "Heart chamber" (2019), un opéra de Chaya Czernowin

Quittant Tel Aviv où elle a commencé sa formation musicale (1976-1982), l’Israélienne Chaya Czernowin (née en 1957) la poursuit en Allemagne (1983-1985), aux États-Unis (1987-1993) ou encore au Japon (1993-1995). Elle enseigne ensuite à San Diego (Californie), Vienne et Harvard. Varié, son catalogue comporte plusieurs œuvres scéniques : Pnima...ins Innere (2000), Zaïde/Adama (2006/2017), and you will love me back (2011) et Infinite Now (2017). Commande de la Deutsche Oper de Berlin, Heart Chamber voit ensuite le jour le 15 novembre 2019, avec pour sous-titre Une enquête sur l’amour.

Tel que le présente la maison allemande, cet ouvrage s’inscrit dans la tradition séculaire de l’opéra qui, depuis ses origines – en particulier L’Orfeo de Monteverdi – a toujours voulu cerner les élans du cœur, confronté qu’est ce dernier au doute, à la souffrance, mais aussi à un espoir sans cesse renaissant. Ici se développe la relation de deux êtres qui oscillent entre attraction et répulsion, entre le désir de fusion et celui d'indépendance. La compositrice, qui avoue un lien fort avec l’art de Gesualdo, précise : « partant de l'événement qu'est l'amour, j'ai transformé cette tension en son et, ce faisant, je présente des états émotionnels méticuleusement disséqués, qui déterminent l'équilibre entre le bonheur et la peur. J'utilise un grand ensemble pour traduire ainsi les mille visages et possibilités de la plus grande intimité possible » (traduction personnelle d’après la notice du DVD).

Chaya Czernowin [lire nos chroniques de Lovesong et de Guardian] signe également le livret. Dans une langue anglaise économe et semi-poétique, le soprano Patrizia Ciofi (Elle) et le baryton Dietrich Henschel (Lui) jouent les trois actes de l’épreuve sentimentale – apparition, déclaration et rejet –, secondés par Noa Frenkel (alto) et Terry Wey (contreténor), leur voix intérieure respective. Claus Guth commence par mettre en scène deux solitudes, dans des espaces séparés, avant le coup de foudre dans l’immense escalier extérieur qui longe une villa moderne à flanc de colline. Figurants et acrobates, les membres du ballet mettent en relief nos deux amoureux, aujourd’hui sous les projecteurs, tout en esquissant les couples de demain, les flèches de Cupidon sillonnant l’air en continu. Grâce à ses vidéos l’équipe de rocafilm [lire nos chroniques de Don Pasquale, Bérénice et Der ferne Klang] insiste sur l’isolement d’un cœur libre ou l’obsession d’un cœur plein.

De même que les parties vocales sont plus intimistes qu’hystériques, la fosse offre des passages dépouillés, tel ce solo de contrebasse en ouverture (Uli Fussenegger). Pourtant, les forces en présence n’ont rien de chambriste, que dirige au cordeau Johannes Kalitzke [lire nos chroniques de My life without me, Les adieux et Carlotas Zimmer] : Orchestre de la Deutshe Oper, Ensemble Nikel (guitare, saxophone, etc.) et une quinzaine de choristes. Un défi est donc relevé, que nous saluons chaudement, même s’il faut regretter l’absence de sous-titrage français dans la commercialisation qu’en fait le label.

LB