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Chroniques
Chostakovitch contre Staline (Les Symphonies de guerre)
un portrait de Dmitri Chostakovitch
En 1936, il suffit que Staline quitte la salle avant le troisième acte de Lady Macbeth de Mzensk pour qu’un article de La Pravda (Правда) accuse bientôt son auteur, le jeune Dimitri Chostakovitch, d'écrire une musique formaliste, contre le peuple – en février 1948, ce sera le tour de Prokofiev, Miaskovski, Chébaline, Popov, etc. Grâce au documentaire instructif autant qu'émouvant du Canadien Larry Weinstein réalisé en 1997, nous revenons sur les conséquences de cette mise à l'index, véritable épée de Damoclès qui oscillera durant presque vingt ans au-dessus de la tête du compositeur. Les témoins de l'époque prennent la parole, qu'ils soient eux-mêmes créateurs (Karen Khatchatourian, Dimitri Tolstoï, Vladimir Rubin, Veniamin Basner), musicologues (Abram Gozenpud, Mariana Sabinina), musiciens (le chef Ilia Muzin et la hautboïste Xenia Matus), secrétaire ou ami. On revit les arrestations, les interrogatoires. Sa fille Galina parle d'ailleurs de la nervosité de sa musique, signe de l'agitation intérieure de l'homme.
Accompagnés d'images d'archives, ces témoignages très variés retracent les étapes importantes d'une carrière principalement symphonique. La Quatrième (1936) trahit le cauchemar de la répression ; c'est l'époque des années de peur, des goulags qui se remplissent de millions de contestataires plus ou moins bruyants. À sa création, la Cinquième (1937) est applaudie durant plus d'une heure par une foule avide de cette beauté-là. La Septième (1941) évoque la lutte du pays soumis aux coupures d'eau, d'électricité et à la famine durant le siège de Leningrad – pour ce faire, on recrute les rares instrumentistes survivants. La Huitième (1943) traite du totalitarisme et sera critiquée pour ne pas se réjouir de l'approche de la victoire, de même qu’après-guerre Staline s'agacera du sifflotement sarcastique qui irrigue la Symphonie n°9. Mais comment ne pas craindre que la victoire soviétique ne renforce le pouvoir du tyran ?
Après l'avoir vu au pupitre répétant avec l'orchestre, puis accompagner au piano Rayok, cette satire du régime sur l'air de Suliko, la chanson préférée de Staline, nous retrouvons Valéry Gergiev à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam, dans de longs extraits des pages mentionnées ci-dessus – uniquement en bonus audio, malheureusement. On y est loin de ces musiques faciles que Chostakovitch composait pour de mauvais films, dans le seul but de survivre.
LB