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Chroniques
Christoph Graupner
pièces pour clavecin
Aussi estimé de son temps que Händel ou Telemann (qui fut de ses amis, de même que Fasch et Heinichen), le Saxon Christoph Graupner, né à Kirchberg le 13 janvier 1683, semble un peu tombé dans l'oubli. Après des études à Leipzig auprès de Kuhnau (prédécesseur de Bach à la Thomaskirche), Graupner quitte la ville en 1704 pour devenir claveciniste à l'orchestre de l'Opéra de Hambourg – où le jeune Händel, justement, était violoniste – dirigé par le compositeur aujourd'hui également oublié Reinhard Keiser. Il écrira en collaboration avec ce maître plusieurs opéras qui connaîtront un franc succès. Sa réputation lui vaut un poste à la cour de Hesse-Darmstadt, qu'il accepte en 1709. Trois ans plus tard, il y devient Hofkapellmeister,avec toutes les tâches inhérentes qui le laissent sans repos : composer de la musique religieuse ou profane, la copier, la faire répéter, la diriger... Le 4 mai 1722, à la demande du landgrave, il refusa le poste prestigieux qu'on lui proposait : cantor de la Thomaskirche de Leipzig. Dans sa lettre de refus, Graupner a l'élégance, rare à l'époque, de conseiller le méritant Johann Sebastian Bach dont il écrit qu'il possède de bien meilleures compétences et qualités que lui pour prétendre à ce poste ; Bach, dont le passage en cette église devait marquer à jamais l'histoire de la musique, y prit donc cette fonction, offerte par la modestie et la rigueur de Graupner qui restera à la cour de Darmstadt encore trente-huit ans, le 5 mai 1722.
Christoph Graupner était à ce point modeste qu'il demanda que toute sa musique soit détruite après sa mort. L'inévitable bataille juridique qui s'ensuivit, entre ses héritiers et la cour de Darmstadt, se termina en 1819 par la reconnaissance des droits de propriété de cette dernière sur la musique du compositeur. Les manuscrits et autographes de Graupner demeurèrent donc au château de Darmstadt et appartiennent aujourd'hui à la Hessische Landes und Hochschulbibliothek de son université. Compositeur prolixe (citons une dizaine d'opéras parmi lesquels Antiochus et Stratonice, Didon, Bellerophon, Hercule et Thésée, Samson, dont les manuscrits sont conservés à la Bibliothèque de Berlin, une quarantaine de cantates, près de cent sinfonia d'ouvertures pour orchestre, et plus de mille quatre cents cantates...), son art de la fugue, sa musique d'église et sa maîtrise du clavecin sont ses plus intéressantes réalisations. Il fut également réputé pour la magnifique calligraphie de ses manuscrit, et l'Hambourgeois Mattheson écrira d'eux 1740 : « ...ses partitions manuscrites sont si belles qu'on dirait de la gravure... ». Il écrira jusqu'à soixante-dix ans, âge auquel une vue de plus en plus basse et finalement tristement et définitivement éteinte devait le faire renoncer à son activité. Il mourra sept ans plus tard à la cour Hesse-Darmstadt, le 10 mai 1760.
Quarante et une partitas pour clavecin nous sont parvenus. Cette musique a une place très particulière dans son œuvre car elle n'est pas associée à des commandes. Vingt et une de celles-ci ont été gravées directement sur la plaque de cuivre de l'imprimeur, ce qui fait de ces éditions originales non seulement des documents inestimables mais souligne peut-être l'intimité qui le liait à ces productions précises.
Les œuvres jouées ici – Partita II en ut mineur (GWV 102), Partita VIII en fa majeur (GWV 108) – ont été choisies parmi les huit de la collection de 1718, Partiten auf das Klavier. On y perçoit l'esprit inventif de leur auteur, que ce soit d'un point de vue technique – l'alternance des mains pour l'exécution des traits – ou musical – le recours au rigaudon, danse rarement utilisée dans la suite pour clavecin, à la différence de la gigue ou du menuet. Dans ses courantes, Graupner parvient même à réconcilier l'esprit français et le style italien, comme il réussit en général à alterner fougue et sensualité avec mélancolie et émotion. Les autres œuvres de ce disque (surnommées Galanteries) sont des extraits de partitas non classées, sans date précise (Partita en sol majeur, Partita en ré mineur) et des courtes pièces isolées (Aria en mi bémol majeur, Gigue en do majeur).
Geneviève Soly signe pour Analekta un second disque d'œuvres pour clavier de Christoph Graupner. Elle fut élève de Bernard Lagacé au Conservatoire de Montréal, où elle obtient à dix-huit ans un premier prix d'orgue décerné à l'unanimité. Elle remportera l'année suivante un prix de clavecin, instrument dont elle apprivoisa les secrets en autodidacte. Elle se perfectionnera ensuite auprès de Gustav Leonhardt et Kenneth Gilbert avant d'obtenir un doctorat en interprétation et de créer, en 1987, Les Idées Heureuses, ensemble de musique baroque. Elle joue pour cet enregistrement un Hubbard & Broekman 2002, grand clavecin de style hambourgeois à deux claviers, copie des modèles Hieronymous Albrecht Hass qui purent être joués par Christoph Graupner. Sa démarche ne se contente pas du mérite d'exhumer une production délaissée, et sert ces œuvres d'un savoir-faire et d'une sensibilité indéniables. On appréciera particulièrement sa belle articulation de la mélancolique Partita en ut mineur, avec un choix subtil de timbre pour sa Sarabande. L'on pourra prolonger le plaisir de la découverte de ce disque par quelques cantates de Graupner qu'elle publie en deux volumes pour le même label avec son ensemble Les Idées Heureuses.
AB