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Chroniques
Christoph Willibald Gluck
Iphigénie en Aulide – Iphigénie en Tauride
« Je suis sur le point d’aller à Paris pour produire l’Iphigénie en Aulide sur le grand théâtre de l’Opéra, confie Gluck (1714-1787) à l’un de ses correspondants, le Padre Martini, le 26 octobre 1773. L’entreprise est certainement hardie et les obstacles seront grands parce qu’elle doit attaquer de front des préjugés nationaux contre lesquels la raison ne suffit pas ».
Connaissant quelques travers de la capitale française depuis un premier séjour en 1764, l’ancien élève de Czernohorsky et Sammartini sait qu’il va devoir non seulement affronter une germanophobie qui prend de l’ampleur mais aussi entrer en guerre, bon gré mal gré, contre l’opéra italien défendu par Piccinni. Avant même son arrivée, on lui reproche déjà de venir « donner aux Français des leçons sur leur propre langue », alors que cette ambition est plutôt celle de son librettiste, l’attaché d’ambassade François-Louis Gand Le Bland Du Roullet qui voit dans l’auteur génial du récent Alceste (1772) [lire notre critique du DVD] l’occasion d’affirmer la compatibilité entre musique et langue française – Racine, en l’occurrence – et d’ainsi ranimer la tragédie lyrique moribonde. Lors de la première du 19 avril 1774, Iphigénie en Aulide triomphe et excède les détracteurs, tel l’encyclopédiste Marmontel qui vient de collaborer avec Grétry sur Zémire et Azor (1771) [lire notre chronique du 18 mars 2010] et tympanise le « Jongleur de Bohême […] qui fit beugler Achille ».
Une fois transcrits en français quelques succès de la décennie précédente, le protégé de Marie-Antoinette revient à l’héroïne antique avec Iphigénie en Tauride, cette fois sur un livret de Nicolas-François Guillard qui s’inspire d’Euripide et de l’unique tragédie du poète Claude Guymond de La Touche (1757). Là encore, le succès est au rendez-vous des quatre actes présentés à l’Académie Royale de Musique le 18 mai 1779.
Filmés en septembre 2011 au De Nederlandse Opera, ces deux ouvrages bénéficient du travail efficace de Pierre Audi, mais peu marquant au fond, dans un amphithéâtre modernisé. En revanche, lui qui jouait Alceste à Paris dernièrement [lire notre chronique du 12 septembre 2013], Marc Minkowski déçoit franchement quand les douceurs recueillies du départ se muent en ralentis qui encouragent la mollesse sentimentale des Musiciens du Louvre Grenoble jusqu’à l’anémie soporifique.
À l’unisson de cette langueur, Véronique Gens (rôle-titre) s’avère peu concernée et maniérée ; question diction et présence dramatique, Anne Sofie von Otter (Clytemnestre) lui vole la vedette. On retrouve avec plaisir Nicolas Testé (Agamemnon), baryton-basse au phrasé moelleux, respectueux de la prosodie. Plus fragile, Frédéric Antoun (Achille) offre un chant clair mais instable et un timbre grêle. Christian Helmer (Calchas), lui non plus, ne convainc pas totalement.
Iphigénie « n°2 » sous tension mais sans intention, Mireille Delunsch déçoit à son tour, et Laurent Alvaro (Thoas) n’échappe pas à certains dérapages. Notre plaisir vient d’écouter Jean-François Lapointe (Oreste), vaillant et brillant autant que nuancé (superbe lâcher-prise dans le désespoir) ou encore Yann Beuron (Pylade) au chant souple et facile, fait d’énergie et de tendresse. Salomé Haller (Diane) est également en forme, côté clarté et diction. Quelques-uns d’entre eux s’expriment dans un reportage d’une vingtaine de minutes tournéen coulisses, sous-titré en anglais.
LB