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Chroniques
Christophe Bertrand
musique de chambre
Quelques mois avant de disparaître, répondant à un questionnaire de Nikos Spiliotis adressé à la jeune génération, Christophe Bertrand (1981-2010) affiche son credo : « L’Histoire éliminera 90 % de la musique actuelle, comme elle l’a fait avec celle du passé. Nous devons composer en considérant l’instant présent, mais avoir confiance en l’avenir, afin de créer une musique qui se développera, lentement mais sûrement. […] Il n’est pas réaliste de composer de la musique engagée comme celle de Nono, ou, comme je le disais précédemment, d’écrire des œuvres emblématiques. Je pense que nous sommes nécessaires, non pas pour divertir le public, mais pour le faire évoluer » (in Christophe Bertrand, Hermann 2015) [lire notre critique de l’ouvrage].
Près de dix ans auparavant, l’admirateur de Ligeti, Berio et Xenakis affirmait également son intérêt pour la musique de chambre et l’interprétation (« le besoin d’avoir un contact avec l’instrument ») qui le conduirait à écrire tant de pièces pour solistes et formations réduites, et à cofonder, en 2001, l’Ensemble In Extremis qui offre cinq des sept pièces du présent programme.
Le solo le plus ancien trouve son nom dans un mot grec signifiant haine : Ektra (2001). Il s’agit d’une pièce de cinq minutes divisée en trois parties extrêmement virtuoses – de cette virtuosité dont parle souvent le compositeur, et qui serait moins geste gratuit que « vecteur d’une énergie transmissible à l’auditeur ». Pour lui, y donner une impression de violence maximale et ininterrompue s’avère essentiel, au contraire d’Haos (2003) où le piano délicat évolue avec nuance, à l’instar de la plante des Îles Sandwich dont la couleur change durant la journée – on pense à Cage, Feldman, etc. D’abord pensé pour clarinette, le posthume Arashi (2011) demande à l’alto de servir « une musique de l’extrême et de l’excès », illustrant sans doute le vent de tempête japonais du titre. Les interprètes successifs sont Olivier Class, Vincent Royer et Maxime Springer.
« Presque tout le temps au seuil de l’audible », Skiaï (1999) est un quintette au titre grec lui aussi (ombre) qui vise à l’indifférenciation des timbres et à l’énergie du geste. Un an plus tard, aux flûte, violoncelle et piano qui y côtoyaient violon et clarinette, Bertrand adjoint le vibraphone pour écrire La chute du rouge (2000) ; il transcrit ainsi cette « agitation de l’intérieur » sentie dans une toile éponyme de Philippe Cognée. Cet extrait d’un concert de 2002 fait entendre le compositeur au clavier. Treis (2000) propose un trio pour violon, violoncelle et piano dont les quatre mouvements et leurs éléments communs sont clairement identifiables. On y décèle un rituel posé mais inquiet où les cordes nerveuses peuvent frémir jusqu’à l’agacement.
Enfin, seule de toutes à dépasser les dix minutes et à réunir six musiciens (ce que pressent un familier du sanskrit…), Satka (2008) présente dix-sept sections agencées selon la suite de Fibonacci, dans un ordre croissant ou décroissant. La pièce joue avec l’idée d’ordre et de chaos, de proximité et d’éloignement, mais surtout avec celle de donner « un sentiment d’élasticité à la masse musicale ». Avec Jean Deroyer à sa tête, l’ensemble Court-circuit engendre tourbillons et vertiges, ascensions et chutes, comme pris dans un cyclone qui avance avec énergie. Fort bienvenu, cet enregistrement fait suite à l’hommage rendu sur scène par les deux formations [lire notre chronique du 20 janvier 2014].
LB