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Chroniques
Christophe Bertrand
œuvres variées
Disparu trop jeune, Christophe Bertrand (1981-2010) fut salué pour son génie créateur, lui qui s’est nourri des œuvres du passé pour trouver sa voie, à cent lieues du courant néotonal qu’il regardait enfler avec horreur – parmi ses affections, citons Ligeti, Xenakis, Berio, Dusapin, Reich, mais aussi Richard Strauss. Il confiait, six mois avant de mettre fin à ses jours : « mon style évolue de manière infinitésimale d’une pièce à l’autre, développant à chaque fois de nouveaux aspects compositionnels. Je découvre une petite chose dans une pièce, qui devient l’argument principal de la pièce suivante, etc., toujours en essayant de conserver mon propre style » (Christophe Bertrand, Hermann, 2015) [lire notre critique de l’ouvrage].
Pour marquer cette première décennie d’absence, le label bastille musique propose un coffret regroupant deux CD d’œuvres chambristes et solistes (1998-2006), et un troisième présentant celles pour ensemble et pour orchestre (2002-2010), soit vingt-deux au total, extraites d’un corpus d’une trentaine de titres. S’estimant chanceux d’avoir été joué par des interprètes réputés (Pierre Boulez, Ensemble Intercontemporain, Quatuor Arditti), gageons que le natif de Wissembourg aurait apprécié l’investissement des chefs Victor Aviat, Baldur Brönnimann, Brad Lubman, Premil Petrović, Emilio Pomàrico et Peter Rundel, ainsi que celui des Zafraan Ensemble, KNM Berlin, WDR Sinfonieorchester et GrauSchumacher Piano Duo. La moitié de ces œuvres, soit onze, sont enregistrées pour la première fois.
Les soli font entendre Ektra (2001), avec sa flûte qui célèbre le triomphe de la volute, Dikha (2001), une pièce en perte de sérénité qui associe la clarinette (et clarinette basse) à un dispositif électronique dispensable, Arashi (2007) dont la volubilité altistique évoque quelque monologue contrarié emprunté à Aperghis, enfin Haos (2003) et Haïku (2008). Tous deux conçus pour piano, ils révèlent un goût pour la déambulation campanaire, mais aussi pour la spirale, l’escalier liguétien. Les musiciens qui jouent sont, respectivement, Liam Mallett, Miguel Pérez Iñesta, Josa Gerhard et Clemens Hund-Göschel.
La formation en trio est minoritaire, avec Treis (2000), alternance d’errance délicate et de fulgurances barbares, Sanh (2006), pièce contrastée d’une grande inventivité, et Dall’ferno (2008) qui foisonne d’événements et d’éléments maintenant familiers (escaliers, fusées, coassements, cahots, etc.). Voisinant Skiaï (1999), quintette aux timbres éclatants, et Satka (2008), décevant sextuor qui libère moult énergie pour un résultat sèchement formel, les quatuors abondent, dont deux pour cordes (2006, 2010) qui semblent des travaux moins personnels – sans doute à cause d’un instrumentarium trop connu. Ce sont La chute du rouge (2000), Aus (2003), Virya (2004) et Hendeka (2007). Là encore, fébrilité, foisonnement et inquiétude se retrouvent en des dosages variés.
Le troisième et dernier CD regroupe Yet (2002), Mana (2005), Vertigo (2007), Scales (2009) et, créés à titre posthume, Ayas (2010), brève fanfare pour onze cuivres et percussions, ainsi qu’Okhtor (2010), inspiré par une toile de Rothko. Si l’on excepte le plus long morceau du coffret (20’58’’), concerto pour deux pianos au titre hitchcockien qui livre une pensée obsessionnelle sans le baume de la narration, on prendra plaisir aux inventions de Bertrand comme à ses références qui nous parlent aussi (Bartók, Berio, Reich, etc.). Sensible à une commémoration précieuse qui ne néglige ni la qualité de l’interprétation ni celle d’une prise de son plaçant l’oreille au plus près des instruments, notre rédaction décerne une Anaclase! à cet enregistrement qui fera date, sans l’ombre d’un doute.
LB