Chroniques

par laurent bergnach

Christophe Mirambeau
André Messager – Le passeur de siècle

Actes Sud / Palazzetto Bru Zane (2018) 510 pages
ISBN 978-2-330-10264-7
André Messager – Le passeur de siècle, biographie de Christophe Mirambeau

Aucune biographie notable d’André Messager (1853-1929) n’avait paru depuis celle de son protégé Henri Février (1947), puis celle d’un neveu par alliance, Michel Augé-Laribé (1951), chacune trop encombrée d’avis personnels et de souvenirs pour assurer une base rigoureuse. Puis vint la thèse de doctorat de Karine Boulanger, au début de cette décennie, qui servit peut-être de coup de pouce au présent ouvrage de Christophe Mirambeau, spécialiste du théâtre musical de divertissement de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe. Au fil de seize chapitres suivis d’annexes, on y rappelle qui fut l’architecte adulé de L’amour masqué (1923) [lire notre critique du CD].

Messager naît à Montluçon où son géniteur est un fonctionnaire peu porté sur la fantaisie et sa mère une frivole en quête de fêtes mondaines. Au début de l’adolescence, il se met à écrire des fanfares, grâce aux premières leçons sérieuses reçues d’un ancien de l’école Niedermeyer, Jean-Albert Albrecht. C’est naturellement cette institution qu’il intègre pour cinq années (1869-1874), quand sa famille rejoint Paris, avant d’y enseigner à son tour. Grâce à l’ami Fauré, à Chabrier ainsi qu’à Saint-Saëns, le jeune homme devient familier de quelques salons renommés. Bientôt, on retrouve Messager pianiste aux concerts de la Société nationale de musique, chef d’orchestre à Bruxelles, organiste de plusieurs églises (Saint-Sulpice, etc.) et de nombreux théâtres (Folies-Bergères, Gaîté, Folies Dramatiques, Bouffes, etc.) pour lesquels il fait montre d’une grande souplesse d’adaptation (ballet, féerie, pantomime, opéra-comique, musique de scène, etc.). C’est un homme en vue qui, chevalier de la Légion d’honneur dès 1891, dépoussière la tradition lorsqu’il codirige la grande boutique avec Leimistin Broussan (1908-1914).

Au cours de sa longue carrière, le musicien alterne des œuvres cent fois à l’affiche, voire plus – Fleur d’oranger (1878), François-les-bas-bleus (1883), Les p’tites Michu (1897), Véronique (1898) –, et d’autres retirées en moins de quinze jours – Le bourgeois de Calais (1887), Le mari de la reine (1889), Le Chevalier d’Harmental (1896). La plupart sont évoquées à l’aide de comptes rendus d’époque qui vante les vertus françaises (netteté, élégance, distinction) de ce wagnérien réputé qui fait jouer la Tétralogie sans coupures et Parsifal dès son entrée dans le domaine public (1914).

L’ouvrage de Mirambeau fourmille de ces articles de presse, ainsi que de notes sur les contemporains de l’artiste. Trop, sans doute, au regard des maigres lignes consacrées à sa vie privée. À peine assiste-t-on au mariage (1883) puis au divorce (1894) de Messager avec une lointaine cousine (1883), à la naissance de ses enfants, Paul (1886) et Madeleine (1897). À peine entend-on quelques témoins, maîtresses (Mary Garden, Maria Kouznetsova) ou proches (Meg, son gendre, etc.), confirmer que ce travailleur acharné se distingue par des emportements, mais aussi par son soutien à des confrères, fussent-ils d’outre-Rhin. À la décharge du musicographe – déjà croisé sur le chemin de Reynaldo Hahn [lire notre critique de l’ouvrage] –, des zones d’ombre demeurent qu’il promet d’éclaircir à l’aide d’articles ajoutés à la mediabase du Palazzetto Bru Zane, son commanditaire. Par chance, si la vie intime de l’homme paraît fantomatique, l’auteur a su rendre plantureuse celle de ses théâtres, emplie d’intrigues, de déboires et de percées vers la modernité.

LB