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Chroniques
Claire Delamarche
Béla Bartók
Enfin, un « vrai » Bartók chez Fayard ! Si, sur certaines questions bartókiennes, l’on pouvait avec avantages se renseigner directement à la source grâce aux écrits du maître hongrois, réunis et traduits une première fois par Jean Gergely il y a près de vingt ans (L’Asiathèque, Bibliothèque Finno-ougrienne n°9, 1995), plus récemment repris dans une nouvelle version française et largement complétés par Peter Szendy (Contrechamps, 2006) [lire notre critique de l’ouvrage], plutôt que de s’en tenir au bref essai, truffé d’inexactitudes, de Pierre Citron (Éditions du Seuil, 1963), la musicographie française demeurait d’une maigreur affligeante. Certes, le lecteur le plus passionné s’était encore nourri de l’ouvrage de Stephen Walsh (La musique de chambre de Bartók, traduction de Virginie Bauzou, Actes Sud, 1991), quand une ténacité s’apparentant à une forme de pugnacité menait le plus têtu jusqu’à la précieuse collecte, quasiment introuvable, du même Gergely (Béla Bartók vivant, Publications orientalistes de France, Bibliothèque Finno-ougrienne n°2, 1984) – et puis ?...
Survient aujourd’hui une somme inestimable, réalisée par la musicologue Claire Delamarche qui, forte de sa connaissance de la langue et de la culture hongroise, nous plonge au cœur même du sujet en puisant à des sources jusqu’à l’heure inédites par chez nous. Il va sans dire que l’auteure explore scrupuleusement chaque partition de Bartók qui se trouve dûment présentée et analysée dans l’entrelacs d’un récit biographique extrêmement renseigné. Mais encore éclaire-t-elle son approche d’une connaissance nouvelle des contextes, circonstances et influences diverses qui firent germer l’un des compositeurs essentiels de la modernité.
Bien sûr, chaque document de la main même de Bartók – lettres, notes, articles, etc. – contribue à l’édification de ce volume salutaire, mais encore tout autre apport de ses contemporains, essai des chercheurs internationaux ou trace, voire strictement administrative, qui révèle le musicien comme artiste dans le monde. Depuis l’enfance aux confins du royaume de Hongrie, plus proche de Timișoara à l’Est et de Belgrade au Sud (une centaine de kilomètres) que de Pécs et encore moins de Budapest – Zrenjanin, aujourd’hui serbe (Зрењанин), s’appelait alors Nagybecskerek, en magyar (langue qui n’était partagée que par 40% des sujets de cette couronne) –, jusqu’au dernier soupir, le 26 septembre 1945, au West Side Hospital de New York où il s’était exilé depuis avril 1940, Claire Delamarche nous dit l’apprentissage d’un enfant timide et sage, d’une santé fragile, la mort du père quand le petit n’a que sept ans, le déménagement à Nagyszőlős – actuelle Vynohradiv, en Ukraine (Виноградів) –, à deux cent cinquante kilomètres à l’Est d’Eger, l’entrée au collège de Nagyvárad (la Roumaine Oradea, au Sud de Debrecen) et les premières compositions, le tout premier concert (1er mai 1892), l’installation à Pozsony (Bratislava depuis 1919), la voisine de Vienne, complètement à l’ouest de la capitale hongroise, enfin la découverte de Budapest, en pleines années Szecesszió.
De l’influence de la verve straussienne à l’affranchissement totale du jeune Béla, de la passion tout à la fois studieuse et enthousiaste pour les rythmes et sonorités de la musique paysanne hongroise, nous ne vous dirons pas tout, invitant plutôt à s’immerger dans ce volume remarquable qui opère une traversée tourmentée de la première moitié du siècle, main dans la main avec un génie qu’il nous rend attachant. Notre rédaction ne décerne pas de distinction particulière aux livres, comme elle récompense les enregistrements discographiques ; c’est dommage, car, à l’instar de l’exceptionnel Anton von Webern d’Alain Galliari [lire notre critique de l’ouvrage], ce Béla Bartók fait événement en ce qu’il révolutionne la préhension générale de compositeur – bravo. Lisez-le !
BB